Ma contribution du jour aura pour point de départ cette mise en garde, cette alerte orange au krach boursier émise par HSBC : « les récents mouvements du marché boursier ressemblent fortement au lundi noir de 1987 ».
1987, c’était il y a 30 ans (enfin… à une année près !) et je travaillais alors sur le « floor », arbitrant actions et options négociables pour une poignée de clients avertis.
Les marchés dérivés n’avaient alors que quelques mois d’existence. C’est en principe insuffisant pour qu’ils contribuent à la formation d’une bulle, d’autant qu’ils étaient surtout perçus comme un instrument de couverture. Mais en quelques jours, tout a dérapé, la contrepartie s’est volatilisée.
En fait, le « lundi noir » fut typiquement une séance de capitulation et elle vint en conclusion d’un mois de consolidation des marchés, le dérapage des cours s’accélérant dans la semaine qui précéda le krach.
2017, 1987… même combat ?
Si je m’en tiens à cette description d’un événement auquel je ne me suis pas contenté d’assister (j’y ai participé activement, tentant de défendre l’épargne de mes clients), rien de ce que j’observe aujourd’hui ne m’évoque le moindre souvenir des mois de septembre et octobre 1987.
Rien… à part l’absence de liquidité sur le CAC 40, sur l’Euro Stoxx 50 ou sur les marchés obligataires.
Mais attention, cela n’a duré que quelques jours pour les actions tandis que des quantités considérables d’argent partaient chercher refuge du côté de l’obligataire (nul problème de liquidité à déplorer dans ce secteur !).
En 2016, cela fait des mois qu’il n’y a plus de liquidité, ni sur les actions, ni sur l’obligataire.
On sabre le champagne chaque fois que les échanges atteignent 3,5 Mds€ sur le CAC 40 : il y a 10 ans, c’était une moyenne basse !
Il faudra que je vérifie, mais je crois que le CAC 40 a battu vendredi dernier un record historique… d’inactivité pour une séance technique des Trois sorcières, avec à peine 3 Mds€ de volumes, arbitrages compris.
J’en profite pour rappeler aux historiens d’HSBC que le krach du 19 octobre 1987 s’était produit précisément au lendemain d’un vendredi des Trois sorcières (un 16 octobre de sinistre mémoire) qui sentait effectivement le souffre, avec des échanges d’une intensité historique (mais ridicules par rapport à ceux observés le lundi noir).
Où sont les intervenants ?
Nous sommes aujourd’hui aux antipodes en terme d’activité boursière. Oui, à l’exact opposé d’un marché qui s’emballe, avec des cours et des volumes progressant à l’unisson, scénario caractéristique d’une bulle spéculative alimentée par l’avidité et l’aveuglement des investisseurs. Un peu l’équivalent de ce que nous avons pu observer ce mercredi 26 octobre sur le titre Kering (PA:PRTP) en début de matinée. Le groupe de luxe concentrait à lui seul 25% des échanges du CAC 40 au cours du premier quart d’heure de cotations.
En 1987, il n’y avait pas de trading algorithmique, juste des stops dont beaucoup étaient encore exécutés manuellement à Paris. Sans oublier les suspensions de cotations par tranche de -10% afin de permettre aux carnets d’ordre de se regarnir… et aux institutionnels de reprendre la main.
Peu d’opérateurs encore en activité restent en mesure de témoigner des interventions de la Caisse des Dépôts, de l’UAP, de grands fonds de retraite semi-publics, de Goldman Sachs ou Merrill Lynch… mais ceux-là étaient capables de sonner la fin de la récré (haussière) ou de colmater les brèches (en cas de panique), ce qui évitait le naufrage.
Ces interventions, probablement sur ordre (du ministère de l’Economie, de la Banque de France, de la Fed, etc.) étaient efficaces, d’abord du fait de leur rareté.
Depuis 2012, mois après mois, on compte sur les doigts d’une seule main, les séances où les banques centrales n’interviennent pas sur les marchés pour les pousser toujours plus haut.
Elles sont omniprésentes, omnipotentes, constamment préoccupées d’enrayer un mouvement de consolidation, jamais l’inverse, peu importe la prolifération des cours idiots.
2001, 2008… 2016…
Beaucoup de valorisations présentent des relents de bulle des dot.com comme nous pouvons le constater en étudiant les « multiples » (PER et autres RoE) des biotech, des spécialistes du cloud, des réseaux sociaux… et des licornes (Uber, Blablacar, Twilio, Kik et une bonne centaine d’autres valorisées plus de 1 Md$ même si certaines ne réalisent à ce jour aucun chiffre d’affaire).
HSBC m’aurait peut-être d’avantage convaincu en établissant un parallèle avec 2001 sur nombre d’actions vedettes du Nasdaq et avec 2008 sur des émissions obligataires présentant de gros risques de non-remboursement.
Sans chercher bien loin, nous retrouvons pêle-mêle des dettes de producteur de shale oil, de municipalités américaines, de spécialistes des thérapies géniques et, plus près de nous, des detets obligataires high yield provenant de banques proches de la faillite comme Deutsche Bank (DE:DBKGn) ou de BMPS. La banque italienne s’achemine vers une restructuration de sa dette, avec conversion de ses obligations en actions sans valeur, à la chypriote. Ma collègue Simone Wapler vous en parle régulièrement et pense même que cette nouvelle crise bancaire pourrait conduire à une explosion de l’euro.
De nombreux épargnants vont y perdre des plumes et il n’est pas question de blâmer leur avidité ou leurs prises de risques inconsidérées : BMPS leur fourguait ses propres emprunts à travers des fonds-maison présentés comme des équivalents d’un Livret A (avec quelques pouillèmes de rendement en plus).
Rien à voir donc avec 1987, mais beaucoup de points communs avec les subprimes de 2007/2008.
Les banques centrales main dans la main… et pas pour votre bien
Cela fait désormais partie des livres d’histoire économique : la plupart des études consacrées au krach de 1987 confirment que les marchés ont paniqué en constatant que la Bundesbank (indéfectiblement « faucon ») et la Fed (déjà très « colombe ») jouaient chacune leur partition sans se soucier l’une de l’autre.
Malgré un dollar affaibli par la rigueur monétaire de la Bundesbank, les Etats-Unis accumulaient les déficits commerciaux : la situation s’étant encore dégradée durant l’été puis au début de l’automne 1987, les investisseurs ont conclu que la Fed allait encore affaiblir le billet vert et se sont empressés de se délester des actifs libellés en dollar.
Rien à voir donc, une fois encore, avec 2016 où les cinq principales banques centrales de la planète (Fed, BCE, BoJ, BoE, BNS) travaillent en étroite collaboration, leur seule originalité consistant à imprimer ponctuellement plus de billets de Monopoly que sa voisine… mais jamais en agissant « par surprise ».
Oh non ! Leur souci commun est de ne jamais surprendre les marchés, de rester parfaitement prévisibles… ce qui les conduit à l’impossibilité de jamais faire machine arrière, car le système basé sur la profusion de monnaie-dette n’est plus depuis 2009 qu’un gigantesque Ponzi qui a besoin de toujours plus de liquidités pour ne pas s’effondrer.
Sept facteurs de désintégration
Mais là où HSBC a probablement raison, c’est sur la conjonction de sept facteurs de désintégration des bulles d’actifs qui nous préoccupent au plus haut point :
- Révision à la baisse des anticipations de profits futurs (voir Goldman Sachs pour 2017 et 2018)
- Chute des investissements des entreprises
- Expansion des multiples de capitalisation
- Rechute de nombreux titres sous la MM50, quelques vedettes soutiennent encore la cote
- Réduction de la prime de risque par rapport à l’obligataire
- Multiplication des méga-deals (faute de perspectives de croissance de la demande future)
- Volume record d’encours spéculatifs financés à crédit (les « leviers ») incluant de lourdes pertes latentes
Il manque – mais c’est une vue de l’esprit – un emballement haussier caractéristique de l’irruption sur les marchés de la « foule imbécile » qui permet aux initiés de vendre au plus haut.
Mais en ces temps de taux négatifs, l’avion vole à l’envers. Il faut donc renverser également le principe énoncé ci-dessus. Cela nous donne : les initiés achètent comme des imbéciles des actifs « toujours plus haut », dans l’indifférence totale des foules qui sont hors-jeu depuis des lustres.
Oui, nous sommes très loin de 1987. Mais peut-être beaucoup plus près d’un krach que les banques centrales apprenties-sorcières ne l’imaginent.