Après deux années de disette, les investissements des entreprises sont repartis en fin d'année dernière en France, un signal positif mais qui n'annonce pas encore de véritable redémarrage de la machine productive française, selon les économistes.
Dans le jargon de l'Insee, qui a fait état vendredi d'une croissance un peu meilleure que prévu en France en 2013, de 0,3%, cette reprise des investissements correspond à une progression de la "Formation brute de capital fixe" (FBCF) de 0,6% au quatrième trimestre, après "sept trimestres consécutifs de recul".
Dans le détail, cette progression est portée quasiment à égalité par l'investissement du secteur public (+1,1%) et par celui des entreprises (+0,9%), tandis que l'investissement des ménages reculait de 0,1%.
Sur la totalité de l'année 2013 toutefois, la FBCF accuse dans son ensemble un recul de 2,1%, se décomposant comme suit: -2,3% pour les entreprises, -3,8% pour les ménages et +1,4% pour les administrations publiques.
Pour Frédérik Ducrozet, économiste de la banque d'investissement de Crédit agricole, dans l'ensemble c'est "une bonne surprise".
"L'investissement était contraint en France et reste contraint par un certain nombre de facteurs en termes d'offre comme de demande: à la fois pas trop de débouchés, des entreprises frileuses, peut-être certaines pour les petites et moyennes entreprises qui ont du mal à accéder au crédit. Là c'est vraiment enfin un rebond", estime-t-il.
L'économiste, qui attend un "tassement", avertit toutefois que "l'investissement ne peut pas croître comme ça à plus de 2% l'an"
- Grande prudence -
Pour Michel Martinez, à la Société Générale, l'investissement est "un paramètre essentiel dans l'équation, difficile à prévoir. C'est de là que peuvent venir les bonnes surprises".
Il table de son côté, pour les investissements des seules entreprises privées, sur une reprise "assez modérée", avec une progression "entre 1 et 2%" sur l'ensemble de 2014. "C'est positif mais ce n'est pas ce qu'on appelle une reprise cyclique", avec une hausse des investissements autour de 5%, conclut l'économiste
Alexandre Delaigue, professeur d'économie à l'école militaire de Saint-Cyr et blogueur, appelle lui à une "grande prudence" dans l'interprétation de ces chiffres d'investissement.
"Quand vous avez comme en France une longue période pendant laquelle les entreprises attendent et reportent leur investissement, au bout d'un moment, cela repart, c'est inéluctable. Il faut bien reconstituer le stock de capital", estime-t-il.
Pour M. Delaigue, "la croissance ne va pas repartir toute seule", à moins d'un bouleversement technologique majeur qui doperait la demande dans le monde entier, comme à la fin des années 1990.
D'où, selon lui, une responsabilité accrue du gouvernement: "avec des taux d'intérêt si bas", d'un peu plus de 2% à deux ans, "on pourrait financer de grandes réformes, des investissements" en ouvrant les vannes de la dette.
Xavier Timbeau, qui dirige la recherche économique à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), affirme de son côté: "Le risque c'est une reprise molle avec des entreprises qui absorbent doucement leurs sureffectifs et rétablissent leur marge mais sans effet significatif sur l'emploi".
"Il ne faut pas s'enfermer dans une spirale de l'austérité", juge-t-il.
"Il faut enfoncer le clou, aller vite sur le Pacte de responsabilité (annoncé par le président de la République François Hollande) pour que le cycle économique en France décolle vraiment sur la base de l'investissement", assure pour sa part Philippe Waechter, directeur des études économiques de Natixis Asset Management.
L'hypothèse d'une croissance durablement molle n'inquiète pas qu'en France ou en Europe. En fin d'année dernière, Lawrence Summers, ancien secrétaire américain au Trésor et candidat malheureux à la présidence de la Réserve fédérale américaine (Fed), avait marqué les esprits en parlant d'une "stagnation séculaire" qui pourrait "être la nouvelle norme" pour les Etats-Unis et d'autres grandes économies.