par Raoul Sachs
PARIS (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) va donner le coup d'envoi la semaine prochaine de son programme de rachats d'actifs (QE) qui va accroître considérablement une liquidité mondiale déjà très abondante, conforter un univers de taux négatifs, et pousser des investisseurs à prendre davantage de risques pour obtenir des rendements supérieurs à zéro.
"Bienvenue au club des taux négatifs", ironise Alberto Gallo, responsable de la recherche taux européens chez RBS à Londres.
"Les obligations à rendement négatif sont actuellement la classe d'actifs à la croissance la plus rapide en Europe dans la mesure où 32,5% de l'encours des obligations souveraines en zone euro offrent aujourd'hui des rendements négatifs, soit 2.200 milliards d'euros contre 110 milliards il y a un an", ajoute-t-il dans une note.
La fragmentation entre pays du noyau dur et périphériques s'aggrave même si les rendements des obligations italiennes, espagnoles ou portugaises sont à des plus bas.
Mais, ils ont en face d'eux, une Allemagne dont 66% de l'encours de dette souveraine offre un rendement négatif.
Vincent Chaigneau, responsable de la stratégie taux chez Société générale, estime que le programme de rachats de la BCE, officiellement appelé "Extended Asset Purchase Plan" (EAPP) va conforter les taux négatifs et pousser les investisseurs dans des "territoires plus chauds" de la planète financière, vers les actions et les actifs risqués en général (dette privée et dette des périphériques de la zone euro).
D'ores et déjà, les indices boursiers européens ont largement surperformé les autres classes d'actifs en "total return" (rendement et gain en valeur). Ainsi, l'indice CAC 40 dividende inclus a réalisé une performance de près de 15% et l'EuroStoxx 50 de 12,26%, dividende inclus.
L'attente de l'EAPP a dopé le marché du crédit et réveillé le segment le plus risqué de ce marché, les obligations d'entreprises à haut rendement (HY).
La performance sur le crédit est de l'ordre de 1,06% sur le segment IG des bonnes signatures et de 3,75% sur le HY (haut rendement), selon SG.
Alberto Gallo relève que les taux négatifs ont gagné le marché primaire des emprunts d'Etat, l'Allemagne ayant adjugé cette semaine pour la première fois 3,0 milliards d'euros d'obligations à 5 ans au taux de -0,08%. Une semaine auparavant la France, moins bien notée, avait émis pour la première fois une OAT à 5 ans avec un coupon de 0,0%.
LES AMÉRICAINS ARRIVENT
Avec l'arrivée du QE, il va falloir pénétrer des territoires plus difficiles, disent les professionnels d'autant que d'autres banques centrales hors zone euro et hors Japon, adoptent des politiques de taux zéro ou négatifs, la dernière étant la Riksbank de Suède qui, outre un taux négatif (-0,1%) a aussi annoncé un programme d'assouplissement quantitatif (QE) de 10 milliards de couronnes par mois (1,0 milliard d'euros) consistant à acheter des emprunts d'Etat de maturité allant de un à cinq ans.
Lors de son prochain Conseil jeudi, la BCE doit préciser quelques points de son EAPP qui prévoit le rachat d'emprunts d'Etat et, dans une moindre mesure, d'instruments de dette privée (Assets backed Securities (ABS) et covered bonds (obligations sécurisées) à raison de 60 milliards d'euros par mois pendant au moins 19 mois.
Responsable de la gestion crédit chez Eiffel Investment, Emmanuel Weyd estime que les spreads (écarts de rendement entre l'emprunt d'Etat de référence et celui des obligations d'entreprise) vont continuer à se resserrer.
"Après un second semestre 2014 difficile, pendant lequel les spreads se sont écartés, ce semestre sera celui de la décompression (resserrement) sous l'effet conjoint d'une croissance toujours faible et du QE", estime-t-il.
"Sur le marché du crédit, ça va encourager les gens à descendre sur l'échelle de notation", ajoute-t-il.
Juan Valencia, stratégiste crédit chez Société générale, souligne que le marché primaire tourne "à plein gaz", en particulier sur le segment investement grade (IG).
Les émissions IG ne donnent pas de signes de ralentissement. Les émetteurs étrangers, notamment américains, se bousculent sur pour tirer avantage de conditions de financement bien plus avantageuse que sur le marché américain.
Dominé traditionnellement par les émetteurs français et allemands, le marché primaire IG en euro est dominé depuis le début de l'année par des corporates américains qui comptent pour 31% des fond levés en euros contre près de 20% pour la France et moins de 10% pour l'Allemagne, selon les chiffres de SG.
(Raoul Sachs, édité par Marc Joanny)