PARIS (Reuters) - La publication de l'enregistrement clandestin des propos d'une ancienne magistrate du parquet de Paris qui a suivi le dossier Kerviel relance l'affaire au moment où l'ancien trader entame un marathon judiciaire et demande la révision de son procès.
Selon des extraits de retranscriptions diffusés dimanche par Mediapart et 20 Minutes, Chantal de Leiris met en cause sa hiérarchie et son employeur, la Société Générale (PA:SOGN).
"Quand vous en parlez, tous les gens qui sont un peu dans la finance, ils rigolent, sachant très bien que la Société générale savait. La Société générale savait, savait, c'est évident, évident", déclarait-elle en juin 2015.
L'ancienne vice-procureure se confie à Nathalie Le Roy, la policière de la Brigade financière alors en charge de l'enquête, et qui avait elle-même exprimé ses doutes sur le dossier.
L'avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, estime que "le parquet s'est gravement compromis" et a appelé l'exécutif à "mettre un terme à ces dysfonctionnements".
"Il s'agit d'une instruction qui a été manipulée par la Société générale. Nous assistons à un rapt de la justice par une certaine forme de finance (...) qui n'est pas acceptable", a-t-il dit aux journalistes.
La Société Générale déplore pour sa part une "nouvelle manipulation médiatique" qui "vise à faire pression sur la justice" à la veille de l'examen de la recevabilité de la demande de révision de la condamnation pénale de Jérôme Kerviel."La demande de révision est fondée sur le témoignage de Madame Le Roy, qui se base sur des éléments qui ne sont ni démontrés ni nouveaux, ni susceptibles de remettre en cause la culpabilité de Jérôme Kerviel", écrit-elle dans un communiqué transmis par son avocat, Me Jean Veil.
"ILS CHERCHENT À GAGNER DU TEMPS"
La commission d'instruction de la Cour de révision, première étape vers une éventuelle révision du procès de Jérôme Kerviel, a examiné ce lundi à huis-clos la recevabilité de la requête, en présence de l'ex-trader.
Le ministère public a demandé un sursis à statuer le temps que les plaintes de Jérôme Kerviel contre la banque soient instruites, a indiqué David Koubbi. "Ils cherchent à gagner du temps", a-t-il dit à Reuters. La décision de la commission d'instruction a été mise en délibéré au 21 mars.
Le nouveau procès civil de Jérôme Kerviel, rejugé pour sa responsabilité dans la perte de 4,9 milliards d'euros subie par la banque en 2008, doit s'ouvrir en outre mercredi devant la cour d'appel de Versailles.
Mais la défense de l'ex-trader demandera un sursis à statuer sur la base de la demande de révision du procès de Jérôme Kerviel, condamné définitivement à cinq ans de prison dont trois fermes en avril 2014.
La Cour de cassation a cependant rejeté la somme de 4,9 milliards d'euros de dommages-intérêts demandée par la Société Générale, soit l'équivalent de sa perte, en reprochant à la banque d'avoir failli dans ses mécanismes de contrôle.
Jérôme Kerviel soutient depuis le départ que la banque connaissait ses prises de risques sur les marchés et qu'elle les a couvertes. Il a porté plainte plusieurs fois contre son ancien employeur pour faux, escroquerie au jugement et subornation de témoin.
Dans les extraits diffusés, Chantal de Leiris évoque des liens de proximité entre des membres du parquet et certains avocats de la banque lors de l'enquête.
2,2 MILLIARDS DE RISTOURNE FISCALE
La policière Nathalie Le Roy, détachée de ses fonctions en mars dernier pour avoir fait part de ses doutes sur l'affaire, a dit avoir enregistré la magistrate à son insu, a indiqué l'entourage de Jérôme Kerviel.
Chantal de Leiris affirme notamment à l'ancienne commandante que le chef de la section financière du parquet lui a demandé de classer sans suite les premières plaintes de l'ancien trader, a rapporté David Koubbi.
"Mais c'est vrai ce que vous dites, vous avez été entièrement manipulée par la Société Générale", ajoute-t-elle à l'adresse de Nathalie Le Roy.
Pour Julien Bayou, conseiller régional écologiste d'Ile-de-France, si l'enregistrement est vrai, "c'est toute l'affaire Kerviel qui s'effondre pour faire place d'une part à un scandale Société Générale et d'autre part à une affaire d'Etat".
L'élu a engagé une procédure pour obtenir que l'Etat récupère les 2,2 milliards de ristourne fiscale accordées à la banque après ses pertes de 2008.
(Gérard Bon, édité par Yves Clarisse)