Le ministre ukrainien de l'Economie, Aivaras Abromavicius, pièce centrale de la lutte anticorruption, a claqué mercredi la porte du gouvernement, accusant le pouvoir de bloquer les réformes promises alors que le pays est embourbé depuis deux ans dans une grave crise économique.
"Aujourd'hui, j'ai décidé de démissionner de mes fonctions de ministre du Développement économique et du Commerce d'Ukraine. La raison en est la soudaine intensification des tentatives de blocage de réformes importantes et systémiques dans notre pays", a déclaré Aivaras Abromavicius lors d'une conférence de presse.
"Ce n'est pas seulement un manque de soutien ou de volonté politique. Ce sont des mesures actives visant à paralyser notre travail de réformes", a-t-il ajouté, en citant notamment comme exemple des tentatives d'imposer des personnes "douteuses" dans son équipe et à des postes clés dans les entreprises publiques.
Arrivé à ce poste en décembre 2014, après la chute du président prorusse Viktor Ianoukovitch et l'arrivée au pouvoir des pro-occidentaux qui promettaient d'enrayer le fléau de la corruption, M. Abromavicius, un Lituanien, ancien cadre dirigeant d'un fonds suédois, avait promis d'utiliser les "méthodes les plus radicales" pour réformer le pays.
Il était considéré comme un homme clé dans l'application des réformes promises par le président pro-occidental Petro Porochenko, avec la ministre des Finances d'origine américaine Natalie Jaresko.
L'ambassadeur des Etats-Unis à Kiev Geoffrey Pyatt a immédiatement réagi à sa démission, qualifiant sur son compte Twitter cet homme très apprécié en Occident d'un "des grands champions des réformes du gouvernement".
Pour expliquer sa décision, des plus inattendues, M. Abromavicius a dénoncé mercredi "une tentative claire d'établir un contrôle sur les flux financiers, en premier lieu au sein de (l'opérateur gazier ukrainien, ndlr) Naftogaz, ainsi que dans l'industrie de la défense". "Et je refuse de travailler dans un tel système", a lancé cet homme de 40 ans.
- 'Corruption flagrante' -
Investisseurs et analystes s'accordent pour dire que la corruption reste un frein considérable au développement de l'Ukraine, pays engagé depuis deux ans dans un conflit armé meurtrier avec des séparatistes prorusses dans l'Est et qui subit une profonde crise économique (dévaluation de la monnaie, effondrement du PIB...).
Dans son classement 2015 sur la perception de la corruption, l'organisation Transparency International a classé le pays 130e sur 168, en amélioration de seulement un point par rapport à 2014.
"Mon équipe et moi ne voulons pas servir de couverture à une corruption flagrante, être des marionnettes sous le contrôle de ceux qui veulent, à l'image de l’ancien pouvoir, établir un contrôle sur l'argent public", a justifié M. Abromavicius.
Il a cité nommément l'une des personnes ayant selon lui entravé son travail: Igor Kononenko, l'un des chefs de file du "Bloc Porochenko" au Parlement et considéré dans les médias comme une des éminences grises du président ukrainien.
Selon le ministre démissionnaire, M. Kononenko, appuyé par l'administration présidentielle, a tenté de lui imposer la nomination d'un adjoint chargé notamment de Naftogaz, société qui gère en particulier les difficiles relations avec le russe Gazprom.
"Ce à quoi j'ai répondu: je ne participerai pas à ce pillage", a-t-il dit.
Réagissant, M. Kononenko a qualifié ces déclarations de "réaction émotionnelle", selon l'agence Interfax.
Les accusations de M. Abromavicius ont été appuyés par une autre haute figure de la lutte anti-corruption en Ukraine : le gouverneur de la région d'Odessa et ancien président géorgien, Mikheïl Saakachvili, en conflit ouvert avec le Premier ministre Arseni Iatseniouk.
"Toutes nos initiatives visant à remplacer les chefs d'entreprises publiques sont bloquées personnellement par le Premier ministre sous l'impulsion d'Igor Kononenko et d'autres groupes de pression", a-t-il écrit sur sa page Facebook (O:FB), appelant à un remaniement ministériel.