par Guillaume Frouin et Emmanuel Jarry
NANTES/PARIS (Reuters) - Le référendum local sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes annoncé jeudi par François Hollande pour tenter de régler un dossier qui empoisonne son quinquennat risque de plonger le chef de l'Etat dans un guêpier juridique et financier.
Le statut de la consultation est incertain et l'abandon éventuel de ce projet vieux de 50 ans et très controversé coûtera au minimum des dizaines de millions d'euros à l'Etat.
Selon Marcel Thébault, un producteur de lait menacé d'expropriation reçu vendredi à l'Elysée, le chef de l'Etat envisage l'organisation du référendum en juin ou septembre.
Le président du Conseil régional des Pays de Loire, Bruno Retailleau (Les Républicains), qui soutient le projet, a pour sa part annoncé lors d'une conférence de presse qu'il refuserait d'organiser ce "référendum local".
Il y voit "un enfumage" pour "enterrer" l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, censé remplacer celui de Nantes.
Soutenu par les élus locaux de droite et de gauche de Loire-Atlantique, ce projet se heurte à l'opposition des écologistes et d'agriculteurs, rejoints par des altermondialistes de toute l'Europe, qui occupent illégalement le site.
Le chef de l'Etat a promis, au soir d'un remaniement marqué par l'entrée de trois écologistes au gouvernement, de "tirer les conséquences" d'un éventuel vote contre, lors de la consultation organisée d'ici octobre, date prévue pour le début des travaux.
Bien qu'il se défende de tout "marchandage", cette concession a été interprétée comme le prix à payer pour l'entrée au gouvernement d'Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale démissionnaire d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV).
Mais un rapport remis à la ministre de l'Ecologie, Ségolène Royal, en juin 2015, conclut à l'impossibilité en l'état actuel de la loi d'organiser localement un référendum au sens strict sur des infrastructures relevant d'une décision de l'Etat.
CINQ MILLIONS DE VOTANTS POTENTIELS
Seule une "consultation des électeurs" aux résultats non contraignants est envisageable, estiment ses auteurs. Pour en faire un référendum en bonne et due forme, il faudrait une modification législative ou réglementaire.
Celle-ci pourrait passer par une proposition de loi sur le renforcement du dialogue environnemental déposée en janvier par la députée socialiste Sabine Buis ou par des ordonnances.
Se pose aussi la question des participants. Selon Marcel Thébault, François Hollande envisage de limiter le périmètre de la consultation au département de Loire-Atlantique.
Mais pour la Fondation Nicolas Hulot, il devrait être étendu au moins à la Bretagne et aux Pays de Loire, régions qui financent le projet, soit cinq millions d'électeurs inscrits.
La fondation de l'ex-conseiller de François Hollande pour les questions climatiques, qui a refusé d'entrer au gouvernement en partie à cause de son opposition à Notre-Dame-des-Landes, estime qu'une étude sérieuse des alternatives possibles doit en outre être mise à la disposition du public.
"Sans un consensus sur son périmètre, sur la question posée et le contenu du dossier d'information, l'exercice souffrira des mêmes problèmes de légitimité que le projet existant", avertit la fondation dans un communiqué.
Reste la question épineuse du coût d'un abandon éventuel du projet, sans parler de celui de la consultation elle-même.
Le groupe Vinci, dont la filiale Aéroports du Grand Ouest (AGO) a obtenu la concession, "ne fera pas de cadeau, c'est sûr", avertit un patron proche du Medef.
La convention passée entre l'Etat et AGO en décembre 2010 prévoit le versement d'indemnités au concessionnaire en cas de résiliation du contrat.
Ces indemnités, précise la convention, devront notamment comprendre l'intégralité des dépenses engagées par Vinci, les indemnités que le groupe devra verser à ses prestataires et le manque à gagner pour cause d'abandon du projet.
AU MOINS 60 À 80 MILLIONS D'EUROS D'INDEMNITÉS
"Tout cumulé, ça peut faire 15 à 20% du coût de l'infrastructure", a déclaré à Reuters un spécialiste du droit public des affaires, sous couvert de l'anonymat.
La convention entre l'Etat et AGO évalue le prix de revient de l'aérodrome de Notre-Dames-des-Landes à 408 millions d'euros, toutes dépenses confondues et hors taxe, valeur janvier 2009.
Cela ferait donc, rien que pour Vinci, une indemnité de 60 à 80 millions d'euros. A quoi il faudrait ajouter celles, de moindre importance, à verser aux autres entreprises impliquées.
L'association "Des Ailes pour l'Ouest", qui milite pour le transfert de l'aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes, se fonde pour sa part sur le précédent d'Ecomouv' pour évaluer le coût d'un "reniement de l'Etat" à "au moins plusieurs centaines de millions d'euros".
L'Etat est contraint de rembourser plus de 830 millions d'euros à cette entreprise, qui était chargée de collecter l'écotaxe avant son abandon. Mais Ecomouv' avait déjà mis en place l'essentiel de l'infrastructure nécessaire et a dû licencier les salariés spécialement embauchés.
Selon des sondages publiés par la presse locale, les opposants au projet de Notre-Dame-des-Landes dans la région sont majoritaires, ce qui laisse prévoir une victoire du "non".
(Avec Gérard Bon et Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)