Le mouvement est lancé: après des entreprises et des investisseurs institutionnels, les Etats commencent à émettre des obligations vertes (ou green bonds) pour financer la transition vers une économie bas carbone, un phénomène prometteur pour la finance climat.
La surprise est venue de Pologne: cette semaine, ce pays, souvent décrié pour son soutien inconditionnel au très polluant charbon, est devenu le premier Etat au monde à émettre des obligations souveraines vertes.
"L'intérêt pour notre émission a été très fort et cela nous a permis de l'augmenter à 750 millions d'euros par rapport aux 500 millions d'euros prévus initialement", s'est félicité le ministère des Finances polonais, cité par l'agence PAP.
"C'est assez surprenant, car la Pologne n'est pas vue comme le pays le plus ambitieux sur la question du climat", a réagi auprès de l'AFP Igor Shishlov, chef de projet Finance et climat à l'institut I4CE, basé en France.
Les obligations vertes sont des titres de dettes dont le montant doit financer des investissements en faveur de la transition énergétique et écologique.
Jusqu'ici, le marché était occupé par des investisseurs institutionnels internationaux, de grandes banques d'Etat chinoises, des collectivités, ainsi que des entreprises.
Avec son opération, la Pologne a grillé de peu la politesse de la France, qui avait affiché sa volonté d'être le premier pays à lancer une telle émission.
- la France bientôt -
"C'est plutôt bon signe, c'est une façon pour la Pologne de reconnaître qu'il ne faut pas rester complètement à côté" de la lutte contre le réchauffement climatique, indique à l'AFP Caroline Delerable, directrice associée au cabinet de conseil EY.
Après, "il faudra regarder attentivement la qualité des projets dit verts et cela reste une émission modeste à l'échelle d'un Etat", nuance-t-elle.
L'émission française, prévue l'an prochain sera d'une toute autre ampleur. Le projet est de lever 3 milliards d'euros par an sur trois ans, soit au total 9 milliards d'euros.
D'autres pays travaillent à des projets similaires, comme la Suède, le Nigéria, le Kenya ou le Maroc.
Au-delà du signal politique, l'entrée des Etats sur ce segment "va vraiment aider à accroître ce marché", estime Igor Shishlov.
Apparus au milieu des années 2000, les "green bonds" se sont fortement développés ces dernières années, et devraient dépasser les 75 milliards de dollars levés cette année, selon les prévisions de l'agence Moody's, même si cela représente toujours moins de 1% des émissions obligataires mondiales.
Selon des données de l'organisation financière BIS, sur un total de 90 mille milliards de titres de dette en circulation, 50% sont émis par les gouvernements.
"Si seulement un petit pourcentage (...) allaient vers le marché des green bonds, l'impact serait gigantesque", avance Stephanie Sfakianos, responsable des marchés de capitaux durables chez BNP Paribas (PA:BNPP) CIB, dans une note publiée cette semaine.
- éviter le "greenwashing" -
D'autant que ces obligations attirent les investisseurs. Toutes les opérations ont donné lieu à des "sursouscriptions systématiques", explique Mme Delerable, preuve qu'"il y a un appétit des investisseurs et un besoin de financement de la transition énergétique".
Les bourses de Luxembourg et de Londres ont même créé des compartiments dédiés au green bonds et les agences S&P Global Ratings et Moody's ont établi des notations sur ces obligations.
Tout l'enjeu est désormais, comme pour les obligations vertes classiques, d'assurer "la traçabilité et la qualité du contenu de ce qui est financé", prévient Pascal Canfin, directeur général du WWF France.
"Il faudra être de plus en plus exigeant vis-à-vis des émetteurs", insiste Caroline Delerable.
Des ébauches de standards ont commencé à émerger, comme les "Green bond Principles", même s'"il n'y a pas de définition unique" a ce jour, explique Igor Shishlov.
Surtout pour lui, l'émission d'obligations vertes doit accompagner des politiques climatiques ambitieuses des Etats. "Sans accroître l'ambition des politiques climatiques, les obligations vertes souveraines ne sont que du +greenwashing+", prévient-il, avant d'ajouter: elles "labellisent des financements qui potentiellement auraient été faits de toute façon".