L'offensive de l'administration Obama contre l'exil fiscal des multinationales a provoqué des grincements de dents dans les milieux d'affaires américains qui ont dénoncé des "solutions de fortune" contre-productives et économiquement néfastes.
Après des mois d'hésitation, le ministère du Trésor a dévoilé lundi des mesures visant à freiner les "corporate inversions", ces opérations permettant aux entreprises de se domicilier artificiellement à l'étranger à la faveur de fusions-acquisitions afin d'échapper à l'impôt américain sur les sociétés.
Salué par le camp démocrate, ce plan a en revanche fait l'unanimité contre lui dans les organisations patronales.
"Les vaines tentatives de l'administration pour enfermer les entreprises dans un système fiscal obsolète ne feront que faire fuir encore davantage le capital" hors des Etats-Unis, a réagi la puissante et très conservatrice Chambre de commerce américaine qui dit représenter 3 millions d'entreprises.
Regroupement des grandes entreprises américaines, la Business Roundtable a, elle, fustigé "une solution de fortune qui ne fera qu'aggraver les choses".
Selon ces organisations, la cause est entendue: la fiscalité des entreprises aux Etats-Unis est dépassée et doit être revue de fond en comble, notamment en abaissant le taux d'impôt sur les sociétés --le plus élevé des pays industrialisés.
"Les propositions du Trésor vont dans le sens opposé et ne font rien pour attirer de nouvelles activités et de nouveaux investissements aux Etats-Unis", a déploré la Business Roundtable.
-- Période d'incertitude --
Bloquée par l'opposition républicaine au Congrès, l'administration Obama estimait, de son côté, qu'elle ne pouvait "attendre" davantage face à la vague d'opérations d'"inversions" et à l'émoi croissant qu'elles suscitaient par ces temps de déficit.
Des poids lourds de l'industrie pharmaceutique (Medtronic, Mylan...) et agro-alimentaires (Chiquita Brands) se sont engouffrés dans cette brèche au cours des derniers mois mais c'est l'annonce d'un exil de Burger King qui a fait le plus polémique.
Fin août, la très populaire chaîne de hamburgers a annoncé le rachat pour 11,4 milliards de dollars des cafés canadiens Tim Hortons et sa relocalisation dans la province canadienne de l'Ontario où l'impôt sur les sociétés (26,5%) est bien plus faible qu'aux Etats-Unis (35%).
Potentiellement ciblé par la nouvelle règlementation --qui s'applique aux transactions en cours et à venir--, Burger King a assuré qu'il tiendrait bon.
"Nous ne changeons pas nos plans. Comme nous l'avons déjà dit, cette transaction a toujours été motivée par la croissance à long terme et non par des avantages fiscaux", a déclaré un porte-parole du groupe dans un courrier électronique à l'AFP.
Egalement dans le collimateur, le fabricant américain d'appareils médicaux Medtronic, qui avait annoncé en juin son installation en Irlande et son impôt à 12,5% après le rachat de son rival Covidien, s'est montré plus prudent.
"Nous étudions les mesures du Trésor", a déclaré un porte-parole de Medtronic, interrogé par l'AFP. "Nous publierons nos projections concernant un possible impact sur notre rachat en cours de Covidien après un examen complet".
La nouvelle réglementation semble donc en partie répondre au voeu du secrétaire au Trésor américain Jacob Lew qui souhaitait lundi que ces transactions perdent désormais "leur raison d'être".
"Sur le court terme, l'action du Trésor crée de l'incertitude autour des inversions, ce qui était précisément dans l'intention de l'administration: l'incertitude va contribuer à stopper les inversions", soutient dans une note Terry Haynes du cabinet de conseil International Strategy and Investment (ISI).
Sur le plus long terme, les entreprises pourraient toutefois contester l'action du Trésor en arguant que l'administration aurait outrepassé ses compétences et n'aurait pas respecté certaines règles de procédures (consultation publique...)
"Le Trésor pourrait être non seulement visé par des poursuites judiciaires mais également par des décisions de justice interdisant la mise en oeuvre de ses nouvelles règles anti-inversions", met en garde M. Haynes.
Contestée, l'offensive de l'administration Obama a trouvé au moins un ardent défenseur, la coalition d'organisations non-gouvernementales Jubilee USA selon qui la lutte contre l'exil fiscal des entreprises permettrait de "s'attaquer aux inégalités" aux Etats-Unis.