par Andrew Chung et David Ingram
NEW YORK (Reuters) - Des familles des victimes du vol MH17 pourraient accuser la compagnie Malaysia Airlines de négligence, lui reprochant d'avoir fait voler le Boeing au-dessus d'une zone de conflit, afin de lui réclamer des indemnités bien supérieures aux sommes prévues par un accord international.
Cette hypothèse est soulevée par des juristes spécialisés dans le secteur aérien, même si tous ne sont pas d'accord sur le fait qu'il puisse effectivement y avoir eu négligence.
Certains soulignent notamment que Malaysia Airlines pourra faire valoir que le couloir emprunté par le Boeing a été maintes fois utilisé par d'autres compagnies dans les jours précédant le crash. Seule une poignée de compagnies comme Qantas, Air Berlin ou Korean Airlines évitaient depuis un moment l'est de l'Ukraine, où les combats entre forces gouvernementales et rebelles séparatistes pro-russes ont éclaté début avril.
L'argument a été avancé vendredi par le ministre malaisien des Transports, Liow Tiong Lai, qui a estimé que Malaysia Airlines n'avait pas pris un risque injustifié en survolant l'Ukraine. "Nous empruntons cette route depuis de nombreuses années, elle est sûre et c'est la raison pour laquelle nous l'empruntons", a-t-il dit lors d'une conférence de presse.
Selon Flightradar24, une application web qui suit le trafic aérien en temps réel, 66 autres compagnies ont fait voler leurs avions dans la région où le Boeing a été abattu au cours de la semaine écoulée. Malaysia compte 48 vols sur cette période, Singapore Airlines 75 vols.
"D'autres compagnies empruntent cette route. Rien n'indiquait que des avions de ligne étaient pris pour cibles. Etait-ce une bonne idée? Non. Mais je dirais qu'il n'y a pas eu négligence", déclare Bruce Ottley, doyen de la faculté de droit DePaul aux Etats-Unis.
174.000 DOLLARS PAR VICTIME
La catastrophe a fait 298 morts - 283 passagers et 15 membres d'équipage - de onze nationalités, en provenance de quatre continents. Une éventuelle plainte pourrait donc être déposée dans plusieurs juridictions, comme Amsterdam, d'où l'avion a décollé, Kuala Lumpur, où il était censé atterrir et où est basée Malaysia Airlines, ou les pays d'origine des passagers.
En vertu d'un accord international de 1999 connu sous le nom de Convention de Montréal, une compagnie aérienne ne peut échapper au versement d'indemnités pour le décès d'un passager, même lorsqu'un acte de guerre ou de terrorisme est la cause du crash d'un appareil.
Pour chaque décès, une compagnie peut être redevable pour un montant maximum de 113.100 DTS (droits de tirage spéciaux), unité de compte au Fonds monétaire international. Cela correspondait jeudi, jour du crash du Boeing 777, à 174.000 dollars, soit 49 millions de dollars pour les 283 passagers.
La Convention de Montréal stipule que c'est à la compagnie de prouver qu'elle n'a pas fait preuve de négligence ou qu'un décès est uniquement imputable à une tierce partie, comme des hommes armés.
Mais les familles des victimes pourraient réclamer des dommages supérieurs à ce que prévoit l'accord international. Si leurs plaintes - on ignore pour l'heure si des proches des victimes ont entamé cette démarche - étaient jugées recevables, les dommages pourraient être en théorie illimités.
Les membres d'équipage dépendent d'autres systèmes d'indemnisation liés à leurs contrats de travail.
QUEL RESPONSABLE?
La définition de la négligence varie en fonction des juridictions. Aux Etats-Unis par exemple, on imagine ce qu'une personne ou une entreprise "raisonnable" aurait fait dans des circonstances similaires.
L'espace aérien autour de Donetsk, près du site où le Boeing s'est écrasé, n'était pas fermé au-delà d'une altitude de 32.000 pieds et l'avion volait à 33.000 pieds (environ 10.000 mètres).
L'IATA, qui regroupe une grande partie des compagnies aériennes, a déclaré vendredi que ces dernières dépendaient des instructions données par les Etats et les contrôleurs aériens.
"C'est comme lorsqu'on conduit une voiture", a déclaré Tony Tyler, le directeur général de l'IATA. "Si la route est ouverte, on suppose qu'elle est sûre. Si elle est fermée, on trouve une autre route."
Les juristes notent cependant qu'à moins que l'espace aérien soit fermé ou que les contrôleurs aériens ordonnent à un appareil de changer de route, la décision d'emprunter telle ou telle route revient in fine à la compagnie, et non aux autorités de régulation.
Depuis le crash du vol MH17, le ministère français des Transports a demandé aux compagnies françaises d'éviter l'espace aérien ukrainien "tant que les raisons de cette catastrophe ne seront pas clarifiées". L'autorité allemande de l'aviation civile (LBA) a de même déconseillé aux compagnies du pays de survoler l'est de l'Ukraine.
(Jean-Stéphane Brosse pour le service français)