"Du pain, du beurre, il y en a! C'est le plus important", sourit Natalia. Dans le supermarché où cette Moscovite fait ses courses, comme dans toute la Russie, les prix flambent mais les consommateurs restent fatalistes.
"On trouvera toujours quelque chose à mettre sur ce pain", poursuit la solide quadragénaire.
Dopée par l'effondrement du rouble et l'embargo lié à la crise ukrainienne, la hausse des prix est pourtant galopante et touche les produits de base.
La viande (+20,1%), le poisson (+19,1%) et les fruits et légumes (+22%) ont connu la plus forte inflation en 2014, selon les chiffres de l'agence fédérale russe des statistiques. Certains aliments les plus consommés par les Russes comme le chou ou le sarrasin ont vu leur prix grimper ces dernières semaines.
Tous produits confondus, la hausse des prix à la consommation a atteint 11,4% en 2014, soit son plus haut niveau depuis 2008. Le vice-ministre de l'Economie Alexeï Vedev a prédit cette semaine un "pic d'inflation en mars-avril", qui "pourrait atteindre 15% à 17%".
"Les gens simples n'ont jamais eu d'argent et ils n'en auront de toute façon pas. Avec ou sans inflation, on vit normalement", insiste cependant Natalia, son panier de courses à la main. Et la disparition des pommes polonaises ou des fromages italiens, absents depuis plusieurs mois des rayons suite à l'embargo alimentaire imposé par Vladimir Poutine, la préoccupe moins que le prix du sucre, qui a augmenté de 40% en un an.
Et ce n'est pas fini: les principales chaînes de supermarchés russes, cités par l'agence Ria Novosti, ont prévenu que le prix du sucre devrait encore augmenter de 30% à 40% en janvier.
- Pas de mécontentement -
"Les prix augmentent, mais petit à petit et ça nous aide à l'accepter", relativise Tatiana Ivanovna, une retraitée se souvenant de l'inflation galopante des années 1990. "Nous avons survécu à tant d'épreuves que tout ira bien. Nous sommes forts et nous savons faire face aux difficultés, nous avons ça dans le sang".
La popularité du gouvernement russe, elle, ne souffre pas de ces difficultés économiques.
"La majorité de la population a pu remarquer que la situation se dégrade et que la confrontation avec l'Occident coûte cher. Mais cela ne se transforme pas en mécontentement envers le pouvoir", explique le politologue Nikolaï Petrov, selon qui il faudra trois à quatre mois pour que l'élan patriotique né en mars dernier de l'annexion de la Crimée s'estompe et qu'un mécontentement transparaisse dans les études d'opinion.
La Crimée, justement, a vu ses prix exploser depuis son annexion par la Russie, alors que toutes ses infrastructures la reliaient jusqu'alors à l'Ukraine.
Dans certaines régions loin de Moscou, les médias évoquent des hausses de prix parfois spectaculaires pour les produits alimentaires, dépassant parfois 60% comme à Iékaterinbourg, la quatrième ville de Russie.
"Mais les prix vont se stabiliser, je ne m'inquiète pas. Nous sommes un grand pays et nous avons des raisons d'être fiers", insiste Alexeï, un étudiant d'une vingtaine d'années.
La crise semble pourtant devoir durer. Si le gouvernement prévoit officiellement un recul de 0,8% du produit intérieur brut cette année, ses responsables ont reconnu ces derniers jours que si le baril de pétrole restait à ses plus bas niveaux de cette semaine, la chute pourrait atteindre 5%.
Le gouvernement russe compte aussi, comme son ministre de l'Economie Alexeï Oulioukaev, sur la capacité de résilience de la population: "En temps de crise, il est important de ne pas perdre son calme", a-t-il déclaré cette semaine lors d'un forum économique. "Le baril (de pétrole, ndlr), les sanctions, tout cela est passager".