La sortie de la Grèce de la zone euro, qui n'était encore qu'une menace imprécise et lointaine il y a quelques mois, est désormais de plus en plus ouvertement envisagée, sur fond d'incertitudes immenses sur les conséquences économiques, politiques et sociales d'un tel événement.
Le sommet des grandes puissances industrialisées du G8 a certes plaidé samedi à Camp David dans son communiqué final pour "une zone euro forte et unie" et souhaité "voir la Grèce" y "rester... tout en respectant ses engagements", mais la possibilité de parvenir à concilier tout cela fait bel et bien débat.
Les uns, craignant de devoir indéfiniment maintenir Athènes sous perfusion financière, se veulent rassurants et soulignent que la zone euro est mieux préparée que jamais à affronter une sortie de la Grèce.
Les autres estiment que malgré la taille réduite de l'économie hellénique, c'est l'existence même de la zone euro, voire de l'Union européenne, qui est menacée à terme.
Beaucoup de choses ont changé depuis le début de la crise grecque. Pour commencer, la zone euro a renforcé son "pare-feu" en dotant le Mécanisme européen de stabilité (MES) d'une capacité de prêt devant rapidement atteindre 500 milliards d'euros.
L'exposition des banques européennes à la dette grecque a été considérablement réduite. Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a ainsi rappelé que les établissements français avaient déjà provisionné environ 75% de leur exposition à la dette d'Etat grecque.
Les entreprises des autres secteurs aussi se sont préparées, à l'image du voyagiste suisse Kuoni qui envisage une renégociation de ses contrats en Grèce dans l'éventualité d'un retour à la drachme.
Pour les partenaires d'Athènes, le coût resterait finalement limité: 86 milliards d'euros pour les contribuables allemands selon une étude de la banque Deka, 50 milliards pour la France, soit un risque "tout à fait absorbable" selon l'ex-ministre des Finances François Baroin.
Au total, avance Barclays, ce coût n'excéderait pas 1 à 2,5% du PIB de la zone euro, soit 230 milliards d'euros maximum. UBS est sur la même ligne: 225 milliards, soit tout de même quatre fois plus que si Athènes restait dans le giron de l'Union monétaire.
Tout cela fait dire au ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, que "la zone euro dans son ensemble est devenue plus résistante".
Sans compter qu'une telle situation pourrait créer un effet d'aubaine pour des Européens en mesure de profiter de séjours, de terrains ou de biens immobiliers soudainement devenus très bon marché en Grèce.
L'optimisme mesuré des uns s'oppose pourtant au pessimisme, voire au catastrophisme des autres. La directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, juge ainsi qu'une sortie de l'euro serait "extrêmement coûteuse, et pas seulement pour la Grèce".
Les Grecs verraient leur épargne fondre, leur dette publique et privée exploser, l'inflation s'installer, et les fonctionnaires risqueraient de ne plus recevoir salaires et pensions. Les entreprises étrangères refuseraient d'investir dans le pays, d'autant que se poserait le problème juridique du respect des contrats.
Dans ces conditions, selon beaucoup d'analystes, la zone euro serait obligée de continuer longtemps à maintenir sous perfusion financière un pays affaibli par la structure de son économie et saigné par la fuite des capitaux.
Le plus grand risque toutefois, aux yeux des économistes, serait celui d'une contagion aux autres pays fragiles de la zone euro, sous la pression de marchés inquiets. "La pression sur l'Espagne, le Portugal, l'Italie voire l'Irlande serait immense", juge le président de l'organisation bancaire mondiale IIF, Charles Dallara.
Panique bancaire
L'agence de notation Fitch a déjà averti qu'une sortie de la Grèce pourrait entraîner un abaissement de la note de tous les autres pays de l'Union monétaire.
Cela affaiblirait la monnaie unique face au dollar et pourrait aussi aggraver les risques de récession dans la zone euro. Et à très court terme, le risque d'alimenter "une possible panique bancaire en Europe (...) coûterait beaucoup plus cher aux contribuables" que la sortie de la Grèce, selon UBS.
Dans la foulée, des troubles sociaux ne sont pas à exclure dans les pays les plus touchés par la crise, faisant le lit des partis extrémistes.
"Les événements en Grèce ont déjà montré que les élites n'ont plus prise sur les choses" en Europe, souligne Richard Whitman, du centre de réflexion Chatham House, à Londres.
Pour Jan Techau, du centre de réflexion Carnegie Europe, la sortie de la Grèce serait en tout cas "extrêmement dommageable pour le processus d'intégration européenne" et risquerait de "saper l'idée de solidarité" entre Européens.
Mais des effets positifs ne sont pas à exclure, comme un renforcement de la cohésion des autre membres de la zone euro dont la vie est aujourd'hui "littéralement empoisonnée" par la crise grecque, selon Bruno Cavalier, d'Oddo Securities.
En tout état de cause, "c'est une autre Europe qui se dessine, quelle que soit l'hypothèse qu'on privilégie", selon Jean-Dominique Giuliani.
Et une sorte d'effet papillon pourrait se faire sentir bien au-delà des frontières européennes. "Nous vivons dans un système financier global interdépendant, où les chocs dans n'importe quelle économie, grande ou petite, peuvent se répercuter rapidement dans le monde entier", note Charles Dallara.
La situation est "hautement imprévisible. Personne ne sait ce qui va se passer" si la Grèce quitte l'euro, "c'est pourquoi tout le monde essaie si fort de l'éviter", résume Jan Techau.