Cheminées fumantes, tuyaux et lessiveuses gigantesques sous un ciel brumeux. Pour accoucher de son sucre blanc, la betterave du nord de la France passe par le filtre de l'industrie lourde et se prépare à la mondialisation.
A Bazancourt, près de Reims, l'une des trois plus grosses sucreries de France fonctionne à plein régime, jour et nuit, depuis le début de la campagne d'arrachage des betteraves, qui vient de s'achever.
Comme les 25 sucreries de l'Hexagone, l'usine tournera encore pendant quelques semaines, avant de s'endormir jusqu'à septembre prochain.
Cette année, la récolte est bonne, près de 38 millions de tonnes de betteraves très chargées en sucre, grâce à un été pluvieux suivi d'un mois de septembre chaud et sec.
Un résultat à double tranchant pour les agriculteurs, car l'offre mondiale abondante et les stocks accumulés dans l'Union européenne ont fait chuter les prix du sucre.
Le secteur européen se prépare à de grands bouleversements: le système des quotas et prix garantis sera supprimé en 2017, exposant les sucriers à la volatilité d'un marché mondial dominé par le Brésil et la Thaïlande.
"En France, nous avons quasiment les meilleures terres du monde et les meilleurs rendements. Mais il y aura une bataille industrielle", prévient Michel Mangion, le directeur.
Son usine transforme 22.000 tonnes de betteraves par jour, soit 1.600 tonnes de sucre. Propriété du groupe coopératif Cristal Union, 2e sucrier français, elle en vendra 80% en vrac à l'industrie et 20% sous la marque Daddy.
Dans un ballet incessant, les camions déversent leur précieux chargement à l'entrée du complexe industriel. Pas question d'en perdre: une betterave contient environ 30 morceaux de sucre.
Un laboratoire analyse d'abord le taux de sucre des tubercules, qui détermine le prix payé à l'agriculteur.
Puis vient le passage au détecteur de métaux, étape indispensable sur ces terres qui gardent encore le souvenir de la Première guerre mondiale.
Sur un immense réseau métallique de tapis roulants, les betteraves remontent ensuite vers le lavoir, cylindre géant surplombant le site à une dizaine de mètres de hauteur.
- Économies d'énergie -
Pour les laver, l'usine ne puise pas dans les nappes phréatiques, mais utilise l'eau extraite des betteraves au cours de leur transformation. Grâce à d'importants investissements dans la recherche, il ne faut plus que 0,2 litre d'eau pour rincer 100 tonnes de betteraves, contre des centaines de litres auparavant.
"Cristal Union veut diminuer sa consommation d'énergie de 10% d'ici à 2020 et la consommation d'eau de 20%", précise M. Mangion.
Les économies d'énergie sont l'un des grands axes de la stratégie des sucriers français pour faire face à la fin des quotas, avec la recherche sur les rendements et l'augmentation des surfaces.
Objectif: améliorer la compétitivité pour faire face au géant mondial du sucre, le Brésil. Mais aussi profiter de l'opportunité d'exporter sans limites, surtout dans les pays émergents, car la fin des quotas ira de pair avec la levée des restrictions de l'Organisation mondiale du commerce.
Débarrassées des résidus terreux, les betteraves sont finement râpées avant l'étape cruciale, la diffusion.
L'opération se déroule dans deux énormes cylindres où de l'eau chaude circule à contre courant des betteraves. Le sucre migre alors dans l'eau, comme du thé à travers un sachet. Chauffé pour évaporer l'eau, le jus cristallise dans de grandes chaudières verticales.
Une odeur proche du caramel flotte à l'entrée de la salle de contrôle. Deux employés, parmi les 300 du site, s'y relaient en 3x8 pour surveiller les différentes étapes.
Après passage à la centrifugeuse, le sucre cristallisé se déverse dans des cuves, au rythme de 60 tonnes par heure.
Direction ensuite l'atelier de conditionnement, l'un des plus grands du groupe. Moulé, broyé voire tamisé, le sucre y devient morceaux, poudre ou glace...moins de 24 heures après l'arrivée de la betterave.