Les pays émergents ont bénéficié d'un "bol d'oxygène" avec le rebond modéré du cours du pétrole après la décision de l'OPEP, mais ils se préparent à affronter de nouvelles turbulences avec la hausse attendue des taux aux Etats-Unis.
Frappés de plein fouet par le ralentissement chinois, les pays émergents ont récemment repris espoir: le Brésil pourrait sortir de la récession l'an prochain, le pétrole a légèrement rebondi et des signes encourageants émanent des cours des matières premières.
Mais cette légère amélioration pourrait s'avérer insuffisante pour de nombreux pays qui ont mis en oeuvre de sévères ajustements pour faire face à la chute de leurs revenus pétroliers et des matières premières, à l'image de l'Arabie Saoudite, du Nigéria ou encore du Koweit.
"Pour les exportateurs de pétrole, la récente décision de l'Opep de réduire sa production de pétrole constitue certes une petite bouffée d'oxygène, mais les problèmes sont encore très substantiels", a expliqué à l'AFP Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez COE-Rexecode.
Pour les pays d'Afrique subsaharienne, par exemple, ce rebond reste encore bien timide, comme l'a souligné l'agence de notation Fitch dans une note.
"Même si les prix des matières premières ont repris un peu de terrain, beaucoup de pays exportateurs d'Afrique subsaharienne sont toujours en situation de déficit budgétaire et du compte courant", a-t-elle rappelé.
Le cabinet Capital Economics s'attend d'ailleurs à ce que "ce rebond s'essouffle en 2017, en raison du ralentissement de la croissance dans plusieurs des grands émergents comme la Chine, le Mexique ou encore la Turquie".
- Vers une nouvelle crise? -
Avec ces perspectives, les voyants passent à l'orange. La cheffe économiste de l'OCDE, Catherine Mann, a exprimé ses inquiétudes au début du mois.
"Une haute volatilité des taux de change, associée à des risques potentiels de poursuite des hausses des taux d'intérêts" et de fuite de capitaux, "ce sont les recettes pour une crise bancaire et monétaire dans les pays émergents", a-t-elle prévenu.
Elle a reconnu que ces crises ne s'étaient pas encore manifestées. "Mais nous aimerions voir une activité de l'économie réelle, du commerce international et une croissance plus robustes pour que ces vulnérabilités associées aux marchés financiers soient réduites", a-t-elle estimé.
Pour la Banque de règlements internationaux (BRI), les économies émergentes "sont sous pression", avec des "vulnérabilités extérieures et intérieures". Dans sa dernière évaluation trimestrielle, elle pointe notamment "la hausse des taux et celle du dollar", ainsi que "les déséquilibres provoqués par la récente et rapide hausse du crédit".
Un haut responsable de la Banque Mondiale, Carlos Felipe Jaramillo, a redouté lors d'un forum à Bercy une "ample et insoutenable accumulation de dette dans certains pays émergents et des économies en développement" si la tendance se poursuit.
Le danger, c'est la hausse des taux aux Etats-Unis. Avec le plan de relance des investissements annoncé par le candidat élu Donald Trump, la première économie mondiale pourrait renouer rapidement avec une forte inflation, contraignant la Fed à relever les taux d'intérêts plus rapidement que prévu.
Après sa victoire, les marchés ont commencé à anticiper cela, avec des répercussions parfois brutales sur les devises émergentes. La livre turque a ainsi perdu plus de 10% de sa valeur face au billet vert en novembre.
"La possibilité d'un mouvement sur les taux aux Etats-Unis qui se produit d'une manière plus violente et désordonnée que celle que nous anticipons est l'un de nos cygnes noirs", a reconnu Michala Marcussen, cheffe économiste monde de la Société générale.
"Avec la hausse du dollar et la hausse des taux d'intérêts qui accompagne ce mouvement-là, cette séquence moins accommodante sur la politique monétaire américaine est de nature, évidemment, à contrarier un peu les économies émergentes", a expliqué Florent Delorme, analyste macro chez M&G.
"Nous savons très bien que ça se passe mieux pour les économies émergentes quand on est plutôt dans une politique américaine très accommodante. Donc le cycle qui s'amorce va être plus difficile pour les émergents", a-t-il précisé.
Mais, pour Capital Economics, le grand danger pour les émergents "serait un grand changement de la politique commerciale américaine" avec l'arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump qui a promis d'élever les barrières douanières pour protéger son industrie.