En incitant les salariés à travailler un an de plus, l'accord sur les retraites complémentaires pose la première pierre d'un nouveau recul de l'âge légal de départ à la retraite, même si le gouvernement s'en défend et préfère y voir une "liberté" donnée aux salariés.
La patronat et trois syndicats (CFDT, CFTC et CFE-CGC) ont validé vendredi un accord pour renflouer les caisses des régimes Agirc-Arrco. Sa mesure phare: un système de bonus-malus pour inciter les Français à travailler une année de plus.
A partir de 2019, un salarié disposant de toutes ses annuités et qui prendra sa retraite à 62 ans verra sa pension complémentaire amputée de 10% pendant deux voire trois ans. Il n'aura pas de malus s'il travaille jusqu'à 63 ans.
Pour le Medef, un tabou est levé: "l'accord acte qu'il faut prolonger la durée du travail jusqu'à 63 ans" et cela doit "faire tache d'huile sur le régime général et celui des fonctionnaires", selon Thibault Lanxade, vice-président de l'organisation patronale, interrogé par L'Opinion.
Vent debout contre l'accord, Jean-Claude Mailly (FO) ne dit pas autre chose. Selon lui, les signataires "sont en train de dire à celui ou celle qui, demain, sera président de la République: +on a accepté, nous, de travailler plus longtemps, donc vous pouvez retarder l'âge de départ à la retraite ou allonger la durée de cotisation+".
Le CFDT, elle, soutient le contraire. Son négociateur Jean-Louis Malys, a affirmé sur BFMTV que, sans accord, "les déficit se seraient creusés et, en 2017-2018, ils auraient été à un tel niveau que tout homme politique, de gauche ou de droite, aurait dit: +Les partenaires sociaux n'ont pas été capables de prendre leurs responsabilités, nous, politiques, on va le prendre+".
Mais "s'il y a un décalage, demain, généralisé et obligatoire pour tous les salariés, la CFDT sera dans la rue comme en 2010", quand la droite avait repoussé l'âge légal à 62 ans, a prévenu M. Malys.
- 'Les Français résignés' -
L'âge légal est aussi une ligne rouge pour le gouvernement. Sa réforme de 2014 a actionné le seul curseur de la durée de cotisation.
Cela ne l'a pas empêché de suivre de très près les négociations sur les retraites complémentaires. Plusieurs négociateurs ont fait état de "pressions politiques" ou de contacts entre le Premier ministre Manuel Valls et deux syndicats, la CFDT et la CFTC.
Et de facto, l'accord, dont le gouvernement s'est félicité, aura un impact financier direct sur le régime général, en incitant les Français à travailler un an de plus, avec à la clef, une année de cotisations en plus et une année de pensions en moins à payer.
Mais le président François Hollande est catégorique, "ce n'est pas un report de l'âge de la retraite".
L'âge légal, "c'est toujours 62 ans", a-t-il insisté. "A partir de 2019, ceux qui voudront partir à 62 ans auront ce qu'on appelle une décote de 10%, (...) ils feront leur choix, c'est une liberté qui leur est accordée."
Et le chef de l'Etat ne compte pas rouvrir le dossier des retraites: "Les régimes de retraites sont pérennisés jusqu'en 2030", assure-t-il.
Selon Gaël Sliman, politologue chez Odoxa, l'accord "est plutôt une bonne chose pour le gouvernement": à défaut, "il aurait été obligé d'assumer lui-même des décisions impopulaires. Là, on ne peut pas lui reprocher d'avoir pris cette mesure."
D'autant que "les Français sont plutôt paradoxaux" sur le sujet, selon le sondeur: "ils sont résignés, ils sont persuadés que c'est inéluctable, qu'ils partiront à la retraite en moyenne à 65 ans, et pourtant, ils restent opposés à un recul de l'âge légal".
Deux Français sur trois refusent une telle mesure, selon un sondage Opinionway paru en juin.
"Pour que des politiques puissent assumer cette réforme impopulaire, il faudrait la faire en début de quinquennat quand l'exécutif est encore populaire", estime Gaël Sliman.
Sera-ce le cas en 2017 ? La droite a déjà annoncé la couleur. Elle promet, en cas de retour au pouvoir, un report à 65 ans de l'âge de départ à la retraite.