par Sophie Louet
PARIS (Reuters) - Cynisme électoral ou "position courageuse" ? L'engagement de Nicolas Sarkozy à abroger la loi Taubira s'il est réélu en 2017, incompris jusque dans son propre cercle, pèche par aventurisme tactique et juridique, à en croire les réactions à droite lundi.
La garde rapprochée de l'ancien président, qui brigue un maximum de suffrages le 29 novembre dans l'espoir d'un sacre incontestable à la tête de l'UMP, peine à défendre le numéro d'équilibrisme de son champion samedi devant les militants de "Sens commun".
"Nicolas Sarkozy (…) a une position de rassemblement. Il n'est pas dans une campagne personnelle", a avancé lundi sur BFM TV son porte-parole, Gérald Darmanin, qui parle de "la position la plus courageuse". "Il est pour un point d'équilibre".
En consentant à l'abrogation de loi de mai 2013 autorisant les mariages homosexuels en vue d'une réécriture du texte "de fond en comble", Nicolas Sarkozy a défendu l'alternative d'une forme de "super Pacs" pour les homosexuels, non à un mariage donnant droit à la filiation et à l'adoption.
"Il y a dans ce qu'il propose une certaine confusion", a résumé sur RTL Hervé Mariton, concurrent avec Bruno Le Maire de Nicolas Sarkozy pour la direction de l'UMP.
Si certains à l'UMP, minoritaires, tentaient lundi l'exégèse de la promesse ambiguë de Nicolas Sarkozy, consentie sous la pression de militants de l'ultra-droite, le député de la Drôme y voyait une manoeuvre électoraliste dénuée de conviction.
"Il ne fait pas preuve de beaucoup de transparence ni de beaucoup de constance sur ce sujet. Je ne sais pas quel est le fond de sa pensée", a commenté ce héraut de "La manif pour tous", opposant de la première heure à l'union homosexuelle, qui accuse Nicolas Sarkozy de vouloir lui "siphonner des voix".
LA DÉSAPPROBATION DES "SARKOZYSTES"
"Il ne faut pas chercher à plaire", a averti pour sa part sur France Inter le député Thierry Solère, soutien de Bruno Le Maire qui a déclaré dimanche soir sur France 2 que la politique n'était pas affaire de "clientèles".
Des partisans de l'ancien ministre de l'Agriculture, qui ambitionne d'imposer un second tour à Nicolas Sarkozy le 29 novembre, croient percevoir une inquiétude de la part du grandissime favori du scrutin interne, dont la marche censément triomphale se mue meeting après meeting en chemin piégeux.
En témoignent les critiques sans précédent de ses fidèles qui, de Nadine Morano à Nathalie Kosciusko-Morizet, en passant par Roger Karoutchi ou Christian Estrosi, exposent Nicolas Sarkozy à un risque d'isolement en marquant leur opposition à l'abrogation d'un texte initialement "clivant" dont un récent sondage atteste qu'il entre progressivement dans les moeurs.
D'après une enquête de l'Ifop pour le site Atlantico, 68% des Français sont désormais favorables aux unions homosexuelles, dont 58% de sympathisants UMP contre 33% en janvier 2013.
Nathalie Kosciusko-Morizet et Roger Karoutchi font notamment valoir l'inconstitutionnalité d'une abrogation, même si des constitutionnalistes la jugent possible dans l'état actuel de la jurisprudence du Conseil d'Etat, tandis que Nadine Morano estime, via Twitter, que "les Français attendent d'autres priorités que la réécriture de la loi Taubira".
"TACTIQUEMENT LOGIQUE"
Pour le politologue Thomas Guénolé, la proposition de Nicolas Sarkozy procède d'une stratégie mûrie eu égard aux antagonismes à droite sur les sujets sociétaux, qui pourraient faire la différence lors de la primaire de 2016 face à un quasi consensus sur les questions politiques et sociales.
"Nicolas Sarkozy ne pouvait pas rester au milieu du gué. Il avait deux options simples : soit pour, soit contre. Sachant que l'électorat de droite est partagé à 50-50 sur ce sujet, tactiquement les deux options se valent", estime-t-il.
"On ne peut pas détacher ça du contexte : Alain Juppé venait d'annoncer qu'après réflexion, il était favorable au mariage et à l'adoption pour les couples de même sexe. Dès lors que son concurrent principal partait de ce côté de la fracture, il était tactiquement logique que Sarkozy se positionne de l'autre côté".
Le maire de Bordeaux, dont le profil centriste emporte une adhésion inédite dans l'opinion, a déclaré lundi qu'abroger la loi Taubira n'était pas "une bonne idée".
Dans une société française "bousculée par la crise", "il faut commencer par éviter de raviver les controverses qui divisent profondément", a-t-il souligné devant la presse.
Comme François Fillon, Alain Juppé plaide pour une réécriture de la loi afin de clarifier les questions de l'adoption, de la gestation pour autrui (GPA) et de la procréation médicalement assisté (PMA), ces deux derniers points n'étant pas évoqués dans la loi Taubira.
S'il peut espérer de sa prise de position un gain électoral immédiat auprès des 268.341 militants, majoritairement "droitistes", appelés à voter le 29 novembre, Nicolas Sarkozy se voit désormais en difficulté à plus long terme pour convaincre de ses desseins rassembleurs.
(Avec Claude Canellas à Bordeaux, édité par Yves Clarisse)