Et si la principale menace pour l'Afghanistan n'était pas les talibans mais la faiblesse de l'économie? En dépit de succès incontestables et de l'aide internationale, l'économie afghane est en panne et les énormes ressources minières n'offrent aucune solution à court terme.
Dans le bazar de Sarayee Shahzada, à Kaboul, les changeurs manipulent d'épaisses liasses d'afghanis, dollars, roupies et dirhams, mais les clients ne se bousculent plus. Les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient il y a encore deux ans, dit-on devant un thé fumant.
Après une décennie de croissance frôlant les deux chiffres, l'économie afghane s'est contractée depuis 2013 avec les craintes liées à la présidentielle, qui a finalement porté au pouvoir Ashraf Ghani, et au retrait de l'essentiel des forces de l'Otan cette semaine.
Ce repli de l'activité n'a pas échappé aux changeurs spécialisés dans la "hawala", un système informel de transfert de fonds qui sert aussi de baromètre de la confiance des investisseurs.
"A l'approche du retrait, les investisseurs ont déplacé leur argent à l'étranger. Ils l'ont transféré à Dubaï, en Chine, au Pakistan, en Inde, en Turquie", note Omiad Khan, installé dans l'entreprise familiale du bazar de Sarayee Shahzada.
Plus d'argent sort du pays et moins y rentre.
Un sondage récent de l'Asia Foundation, une ONG américaine, auprès de 9.200 Afghans, place "le chômage et une faible économie" en tête des problèmes du pays, devant l'insécurité et la corruption.
Depuis 2002, les Etats-Unis ont investi plus de 104 milliards de dollars en Afghanistan, pays de 30 millions d'habitants, dépassant ainsi le "Plan Marshall" pour reconstruire l'Europe après la Seconde Guerre, selon l'inspecteur général pour la reconstruction en Afghanistan (SIGAR).
Mais cette somme a surtout financé des opérations de combat et les forces de sécurité afghanes, aujourd'hui seules à défendre le pays après le retrait de l'Otan.
Le gouvernement afghan table cette année sur des recettes de 1,8 milliard de dollars, une somme inférieure à la valeur de l'héroïne tirée des champs d'opium qui alimentent les caisses des talibans et autres chefs de guerre.
Et sans les huit milliards d'aide internationale annuelle, le gouvernement est incapable de payer le salaire de ses 350.000 soldats et policiers.
- Des fruits secs pour sauver l'Afghanistan -
Pourtant, la croissance a été au rendez-vous de la décennie de l'Otan: le PIB est passé de 2,5 milliards de dollars en 2001 à plus de 20 milliards de dollars, selon la Banque mondiale, dopé par le transport, la construction, les télécoms et les médias.
L'agriculture hors opium a aussi profité de cette décennie au point que les "fruits secs" ont dépassé les tapis au palmarès des exportations.
"Avant, nous n'exportions que dans deux pays (Inde et Pakistan), mais maintenant nous exportons vers environ 45 pays", se félicite Haider Refat à la tête d'une société qui exporte raisins, figues, pistaches et autres délicatesses locales.
En vendant dans le Golfe, en Australie et au Canada, les producteurs afghans touchent des devises et favorisent la création d'emplois sur un marché où 400.000 nouveaux jeunes font leur entrée chaque année.
Mais pour doper ses exportations, le pays doit régler ses problèmes énergétiques et "faire connaître les produits d'Afghanistan" à l'étranger, plaide Haider, dont l'entreprise familiale donne sur les vieux bazars du centre-ville.
- La manne minière? -
Autre secteur à fort potentiel, les mines avec, selon les services géologiques américains (USGS), des gisements (fer, or, cuivre, etc.) d'une valeur estimée entre 1.000 et 3.000 milliards de dollars.
Si cette manne peut permettre d'envisager un futur prospère, il y encore loin de la coupe aux lèvres, estime Javed Noorani, expert du secteur minier afghan.
Kaboul doit encore réformer sa loi sur les mines, rendre plus transparente l'octroi des concessions, étendre son réseau ferroviaire pour transporter le minerai, juguler la corruption dans l'exploitation des mines déjà en production et transformer sur place la ressource pour créer de l'emploi.
Une tâche colossale qui prendra au moins une décennie, note M. Noorani. D'ici là, l'Afghanistan aura besoin d'aide, de stabilité et d'opportunités pour ses jeunes, dont plus du tiers vivent sous le seuil local de pauvreté et risquent d'être poussés dans les bras de l'insurrection en cas de récession prolongée.
Dans le bazar des changeurs, le vieil Haji Mubin Ahmad n'a lui aucun doute: "Notre économie dépend encore de l'aide internationale. Couper l'aide, c'est comme couper l'oxygène. Nous mourrons".