Fournisseurs et distributeurs s'en inquiètent et les indicateurs le constatent: les tarifs des produits de consommation courante régressent en France, sur fond de crise et de guerre des prix. Pourtant, les consommateurs ont paradoxalement le sentiment que les prix ne cessent d'augmenter.
Mardi, l'Insee a constaté un nouveau recul des prix en grandes surfaces de 0,2% sur septembre, portant la baisse à 0,8% sur un an.
Le panéliste IRI, qui étudie les évolutions tarifaires "alimentation et petit bazar" à partir des tickets de caisse, a noté en septembre un recul de 1,61% sur un an.
Cette déflation est particulièrement marquée sur les marques nationales (-2,6%), sur laquelle les distributeurs, qui se livrent une guerre au prix bas pour conserver les faveurs des consommateurs, ont concentré leurs efforts tarifaires.
A l'exception des spiritueux et champagne, et du "petit bazar", toutes les catégories reculent, avec des baisses notables (au-delà des 3%) sur l'hygiène-beauté, l'épicerie, les boissons sans alcool et bières, les surgelés et l'ultra-frais.
Et pourtant, du côté des consommateurs, ces baisses semblent passer inaperçues. Cet été, un sondage IRI auprès de 800 clients d'enseignes françaises montrait qu'aucun d'entre eux ne disait avoir constaté de baisse. 83% avaient même perçu une hausse.
Début octobre, l'Obsoco (institut d'études) a fait peu ou prou le même constat, après avoir interrogé 2.000 consommateurs. Seuls 3% ont perçu une inflexion des tarifs en grande surfaces ces dernières années, tandis que 26% jugent que l'augmentation a juste un peu ralenti et 56% que la hausse des prix s'accélère.
- Messages publicitaires et valse des étiquettes -
Selon les analystes, ce paradoxe s'explique finalement assez simplement: la perception des consommateurs est brouillée. Matraqués de messages publicitaires et de valse quasi permanente des étiquettes, ils ne comprennent plus rien aux affichages de prix et ne sont plus en mesure de percevoir leur évolution au jour le jour.
La complexification des politiques tarifaires à coups de soldes, ventes flash, ventes privées, coupons promotionnels, etc, "a son revers: progressivement disparaît l'idée selon laquelle un prix unique serait attaché à un produit, un prix qui aurait un fondement plus ou moins objectif résidant dans ce que l'on serait tenté d'appeler la +valeur+ des choses+", remarquent les analystes de l'Obsoco.
Résultat: les consommateurs ne regardent plus les prix, mais simplement les promotions. Et quand celle-ci passe par une réduction de 0,2 ou 0,5%, et non par une promo type "1 acheté un offert" ou par un affichage agressif (-40%, -50%), ils ne le remarquent pas vraiment, analyse Frédéric Nicolas, directeur des études chez IRI.
Par ailleurs, à force de voir leurs autres dépenses, comme le logement ou l'énergie, augmenter, les Français restent focalisés sur une perception globale de contrainte budgétaire croissante, et "si le Coca baisse de 2 centimes, cela ne change pas grand chose pour eux", estime-t-il.
Surtout que pour les courses alimentaires, les consommateurs ne sont pas focalisés sur le prix des produits à l'unité, mais plutôt sur le montant global de leur caddie, ajoute M. Nicolas. Or, comme les baisses de tarifs sont essentiellement concentrées sur les grandes marques, et pas sur les marques distributeurs, et que certains catégories comme les viandes continuent d'augmenter, le ticket de caisse global n'est pas forcément revu à la baisse.
D'autre part, le sentiment d'une hausse des tarifs est également alimenté par une défiance générale vis-à-vis de la grande distribution.
Déjà en 2012, au moment des premières annonces de baisse de prix massives par les distributeurs, 71% des Français se déclaraient sceptiques, estimant que si quelques réductions intervenaient, elles seraient automatiquement compensées par des hausses discrètes sur d'autres produits.
Et aujourd'hui, selon IRI, une majorité pense ainsi que si baisse il y a, elle profite surtout aux marges des distributeurs.
Enfin, selon l'Obscoco, 70% des Français considèrent que le rapport qualité/prix des produits de grande consommation s'est dégradé ces dernières années. Ce qui nourrit leur impression d'en avoir moins pour leur argent.