Le Parlement chypriote a adopté vendredi soir les premières mesures liées au plan de sauvetage que l'île méditerranéenne, paralysée depuis une semaine, doit conclure avant lundi avec ses partenaires européens pour éviter la banqueroute.
Signe de l'importance du dossier pour l'Union européenne, le sommet UE-Japon prévu la semaine prochaine a été officiellement reporté, et les ministres des Finances de la zone euro vont se réunir dimanche en fin d'après-midi à Bruxelles pour trouver une solution à la crise chypriote, selon plusieurs sources.
Sur l'île, où les banques sont fermées depuis le 17 mars et où tous les virements sont interdits, la situation devenait critique pour nombre d'entreprises, incapables de payer leurs fournisseurs ou d'être payées. Et dans le reste de l'UE, l'énervement des partenaires de Chypre se fait de plus en plus palpable.
En revanche, l'euro progressait face au dollar vendredi, les marchés financiers se montrant légèrement plus optimistes sur le dossier chypriote.
Réunis en séance extraordinaire vendredi soir, les députés chypriotes ont approuvé un restructuration du secteur bancaire du pays, la création d'un fonds de solidarité et une limitation des mouvements de capitaux pour éviter une trop forte pression sur les banques à leur réouverture, prévue mardi.
Les députés se sont séparés peu avant minuit (22H00 GMT), sans fixer de date ou d'heure pour l'examen des autres textes prévus, dont le plus controversé doit établir une taxe exceptionnelle, qui pourrait s'élever à 15% selon la télévision publique, sur les dépôts bancaires à partir de 100.000 euros.
Des manifestants, en particulier des employés des banques menacées, se sont rassemblés vendredi soir devant le Parlement, où une trentaine de jeunes au visage cagoulé ont brûlé un drapeau européen devant les barricades de la police aux cris de "La taxe c'est du vol".
Chypre doit trouver d'ici lundi 7 milliards d'euros -- plus du tiers de son PIB annuel --, pour débloquer l'aide internationale et obtenir que la Banque centrale européenne (BCE) continue de fournir des liquidités d'urgence aux banques chypriotes, dont certaines feraient alors immédiatement faillite.
Mardi, le Parlement avait rejeté l'idée d'une taxe exceptionnelle allant jusqu'à 9,9% sur tous les dépôts bancaires, censée rapporter 5,8 milliards d'euros, en contrepartie d'une aide de 10 milliards d'euros de la troïka BCE-Union européenne-Fonds monétaire international (FMI).
La restructuration des banques vise à séparer des bonnes dettes des mauvaises au sein des banques menacées, en particulier de la Popular Bank (Laiki en grec), deuxième banque commerciale du pays.
Selon un responsable du parti de M. Anastasiades, elle permettra de garantir tous les dépôts à hauteur de 100.000 euros, mais que ceux dépassant ce montant pourraient devoir attendre des années avant de récupérer tout leur argent.
"Le Parlement va bientôt être invité à adopter des décisions difficiles. Certains aspects seront douloureux, mais il faut sauver le pays", a prévenu le président chypriote Nicos Anastasiades dans un tweet vendredi, tandis que son porte-parole assurait que Chypre resterait dans l'euro.
La taxe sur les dépôts semble d'autant plus inévitable que l'option d'une aide russe, caressée par Nicosie afin d'obtenir une partie de l'aide nécessaire, s'est refermée.
Après deux jours de discussions à Moscou avec le ministre chypriote des Finances Michalis Sarris, la Russie a indiqué ne pas être intéressée par les propositions de Nicosie. Le Premier russe Dmitri Medvedev a assuré cependant que la Russie "ne fermait pas la porte" à un soutien à Chypre, mais que Nicosie devait trouver avec l'UE une issue à la crise.
Du côté de l'Union européenne et de la zone euro, dont Chypre fait respectivement partie depuis 2004 et 2008, l'énervement monte, en particulier à Berlin.
La chancelière allemande Angela Merkel a prévenu vendredi matin qu'il ne fallait "pas abuser de la patience des partenaires de la zone euro", selon des propos rapportés par des députés de sa coalition, à qui elle s'est adressée lors de réunions fermées à la presse.
Le fonds de solidarité voté vendredi soir doit utiliser en particulier les liquidités des fonds de retraites de la fonction publique, et pourrait également être garanti sur les revenus à venir dégagés par l'exploitation, encore à l'étude, du gaz naturel récemment découvert au large des côtes de l'île.
Mais l'Allemagne refuse une implication des fonds de pension dans le plan d'aide. Selon un porte-parole du ministère allemand des Finances, la troïka avait déjà rejeté une telle proposition le week-end dernier.
A Nicosie, où l'activité semble tourner au ralenti, de nombreux cafés, restaurants ou stations-service refusent désormais les paiements par carte de crédit ou par chèque.
"Durant ces trois derniers jours, j'ai constaté une baisse de 70% de la fréquentation. Généralement, les réservations sont complètes le vendredi et durant le week-end. Mais je n'ai presque aucune réservation pour les jours à venir. Je ne sais pas si je vais ouvrir la semaine prochaine", a ainsi déclaré Demos Strouthos, le gérant d'un restaurant dans le centre de Nicosie.