Total a tiré jeudi un trait définitif sur un projet d'usine pétrolière liée aux sables bitumineux au Canada, qui était enlisé depuis la crise et est désormais condamné à cause de l'essor du pétrole de schiste, au prix d'une lourde ardoise de 1,6 milliard de dollars.
Total s'est résolu à revendre à son partenaire canadien Suncor pour 515 millions de dollars sa participation dans un projet de valorisation du pétrole tiré de sables bitumineux au Canada. Il a précisé dans un communiqué devoir passer dans ses comptes du premier trimestre une perte nette de 1,65 milliard de dollars, à cause de cette mésaventure, le prix de vente étant très inférieur aux sommes qu'il avait déjà englouties dans ce projet.
Le projet abandonné, baptisé "Voyageur", était situé dans la province canadienne de l'Alberta, connue pour ses importants gisements de sables bitumineux, une ressource abondante en pétrole particulièrement lourd et visqueux, et donc difficile à transporter et à raffiner.
Voyageur était une usine de type "upgrader", qui devait permettre de réduire la viscosité des pétroles bitumineux afin qu'ils puissent être utilisés dans des raffineries traditionnelles.
Selon Suncor, cette usine devait valoriser le bitume extrait de deux gisements voisins et devait afficher une capacité de traitement de 200.000 barils par jour. Suncor détenait 51% du projet contre 49% pour le groupe français.
Dans son communiqué, Total explique être à l'origine de l'abandon du projet, après avoir constaté que "le visage du secteur pétrolier a profondément évolué en Amérique du nord", à cause du boom du gaz et du pétrole de schiste, et du pétrole léger issu de réservoirs compacts.
"A l'issue d'une évaluation rigoureuse de ses actifs exploités en partenariat avec Suncor Energy au Canada, Total est parvenu à la conclusion que l'investissement dans le projet Vogageur ne se justifiait plus d'un point de vue stratégique et économique", a justifié le géant pétrolier français dans un communiqué.
"Depuis 2010, la conjoncture a changé considérablement, de sorte qu'il devient difficile de justifier le projet d'usine de valorisation Voyageur sur le plan économique, a abondé dans un communiqué séparé Steve Williams, le patron de Suncor.
La poursuite du projet aurait impliqué le déboursement par Total de plus de 5 milliards de dollars au cours des 5 prochaines années, selon le groupe français.
Total avait investi fin 2010 1,75 milliard de dollars canadiens dans trois projets de Suncor dans les sables bitumineux de l'Alberta et avait fait à cette occasion l'acquisition de 49% du projet Voyageur.
La construction de l'usine était toutefois interrompue depuis la crise financière de 2008-2009. En janvier 2011, Suncor et Total avaient annoncé la relance de ce projet, avant de le remettre de nouveau au placard un mois plus tard, à cause d'une conjoncture trop délicate.
Ce projet va donc se solder au final par une perte conséquente pour Total, même si elle bien évidemment tout à fait gérable vu les méga-bénéfices que dégage le groupe de La Défense (avec un bénéfice ajusté de 12,4 milliards d'euros l'an dernier).
Par ailleurs, cette opération ne marque pas l'arrêt des activités du groupe dans les sables bitumineux, Total restant présent soit comme opérateur soit comme partenaire dans plusieurs gisements en développement dans l'Alberta.
"La décision de se retirer du projet Voyageur n'aura pas d'incidence sur les projets miniers de Fort Hills et Joslyn, et Total demeure résolu à jouer un rôle majeur dans l'exploitation des sables bitumineux au Canada", a ainsi assuré Yves-Louis Darricarrère, responsable exploration-production de Total, cité dans le communiqué du groupe.