par Eva Taylor et John O'Donnell
FRANCFORT (Reuters) - La crise ukrainienne fait peser de nouveaux risques sur la reprise dans la zone euro, déjà faible et inégale, et les sanctions économiques réciproques risquent d'aggraver la situation, a déclaré jeudi la Banque centrale européenne (BCE) tout en maintenant ses taux d'intérêt à leur plus bas niveau historique.
Le président de l'institution, Mario Draghi, a énuméré lors de sa conférence de presse mensuelle les différents risques géopolitiques, de l'instabilité au Moyen-Orient aux tensions entre la Russie et l'Occident, autant de facteurs susceptibles de plomber la croissance dans la zone euro.
Moscou avait annoncé quelques heures auparavant l'arrêt des importations de produits agroalimentaires européens et américains, en représailles aux sanctions décidées ces dernières semaines par Washington et Bruxelles.
Mario Draghi a assuré que la BCE était prête à s'engager dans une politique d'assouplissement quantitatif - des achats d'actifs sur les marchés pour injecter des liquidités dans les marchés - si les perspectives d'inflation se dégradaient encore.
Il a toutefois relativisé la baisse du taux d'inflation en zone euro à 0,4% sur un an en juillet, son plus bas niveau depuis quatre ans, en soulignant qu'elle traduisait un recul temporaire des prix de l'énergie et des produits alimentaires.
"Les risques géopolitiques ont augmenté, ils sont plus élevés qu'il y a quelques mois. Et certains d'entre eux, comme la situation en Ukraine et en Russie, auront un impact plus important sur la zone euro (...) que dans d'autres régions du monde", a-t-il dit.
Après avoir abaissé ses taux en juin, la BCE ne les a, comme attendu, pas modifiés jeudi, les responsables de l'institution souhaitant, avant d'éventuelles nouvelles initiatives, mesurer l'impact des nouvelles mesures non conventionnelles, comme les TLTRO, des prêts à quatre ans aux banques à taux quasi-nuls qu'elle commencera à accorder en septembre.
LE CONSEIL "UNANIME", ASSURE DRAGHI
Les économistes et les investisseurs estiment que la BCE pourrait s'engager dans quelques mois dans une politique d'assouplissement quantitatif (QE), comme l'ont fait avant elle la Réserve fédérale américaine, la Banque d'Angleterre et la Banque du Japon.
Mario Draghi a explicitement évoqué cette possibilité jeudi, tout comme celle d'acheter des produits financiers adossés à des actifs (ABS), en dépit des réticences de certains pays de la zone euro, Allemagne en tête.
"Je ne peux que réaffirmer que le Conseil des gouverneurs est unanime dans son engagement à recourir à des mesures non-conventionnelles comme les achats d'ABS, comme le QE, si nos perspectives d'inflation à moyen terme devaient évoluer", a-t-il dit.
Il a expliqué que les taux d'intérêt réels (ajustés de l'inflation) dans la zone euro devraient rester négatifs bien plus longtemps qu'aux Etats-Unis, peut-être jusqu'en 2019.
La conférence de presse de jeudi n'a apporté aucun élément nouveau préfigurant une inflexion prochaine de la politique de la BCE mais certains économistes estiment toujours que les événements extérieurs pourraient contraindre l'institution à passer à l'action.
"On commence à observer des signes de stagnation et la situation géopolitique ne fait qu'accroître les risques. La baisse de l'euro et l'amélioration des conditions de crédit peuvent-elles compenser cela ? Si ce n'est pas le cas, la BCE sera forcée d'agir", a dit James Knightley, économiste d'ING.
UN QE JUGÉ PEU PROBABLE AVANT 2015
Pour d'autres observateurs, il faudrait cependant une dégradation marquée de la conjoncture pour que le Conseil des gouverneurs franchisse le pas.
"La situation géopolitique accroît les risques pour l'économie mais nous ne nous attendons pas à ce que (la BCE) change de cap avant l'an prochain", dit Anatoli Annenkov, de Société générale.
"Nous prévoyons que la BCE lancera un programme d'achats d'actifs au début de l'an prochain, en achetant au départ (de la dette) du secteur privé plutôt que des emprunts d'Etat. Mais pour l'instant, elle suit un cap différent pour encourager le crédit."
La BCE est de fait la première grande banque centrale à avoir opté pour un taux de dépôt négatif (-0,1% depuis juin), qui revient à faire payer les banques qui déposent des liquidités à ses guichets, une mesure censée les dissuader d'accumuler des réserves et les inciter à prêter.
Interrogé jeudi sur l'appel lancé lundi par François Hollande, le président français, à l'Allemagne et à la BCE en faveur d'un soutien accru à la croissance et de mesures aptes à faire baisser l'euro, Mario Draghi a souligné que la situation actuelle favorisait déjà la dépréciation de la monnaie unique, notamment la divergence croissante entre l'évolution des taux d'intérêt de part et d'autre de l'Atlantique.
Il a ajouté que la faiblesse de l'inflation - qui fait craindre à certains une spirale déflationniste en zone euro - découlait en partie de la baisse des dépenses publiques et des revenus salariaux, un mouvement que la BCE n'entend pas interrompre.
Mais la BCE reste prête à agir si les prix restent bloqués à leur niveau actuel, a-t-il une nouvelle fois insisté.
(avec Paul Carrel à Francfort,; Marc Angrand et Nicolas Delame pour le service français)