Cheikh Najjar, qui ambitionnait avant la guerre civile de devenir non seulement la plus grande zone industrielle de Syrie mais du Moyen-Orient, croit en une seconde chance.
Pourtant, le plus souvent, il ne reste au mieux que la carcasse des bâtiments, car beaucoup a été détruit, brûlé, et pillé ces deux dernières années.
Les hommes d’affaires d’Alep, la capitale économique de la Syrie, n’ont pas failli à leur réputation d’entrepreneurs pressés: quelques semaines à peine après la victoire par l’armée gouvernementale, le directeur général de la cité industrielle a commencé à recevoir les premières lettres d’intention.
"Les soldats ont repris la zone industrielle le 7 juillet et quand nous sommes entrés une semaine plus tard, nous avons pu voir l'étendue des ravages. Certains bâtiments avaient simplement disparu", confie dans son bureau aménagé à la hâte Mohamed Hamdie, 55 ans.
"Nous sommes restés malgré tout optimistes car dans les semaines qui ont suivi mon installation, j’ai reçu beaucoup de demandes pour revenir, reconstruire, remettre en état les machines. C’était très encourageant", ajoute-t-il.
Aux mains de la rébellion depuis juillet 2012, lorsque les insurgés s’étaient emparés en quelques jours de plus de la moitié d'Alep, la zone industrielle, située à 20 km au nord-est, a été le terrain d’une bataille féroce jusqu’à ce que l’armée du régime prenne le dessus.
- Reconstruire et réparer les machines -
Dans le village de Cheikh Najjar, figurent encore sur les murs le drapeau des jihadistes du groupe Etat islamique (EI) et du Front al-Nosra, ainsi que diverses inscriptions dont "La liberté (pour nous) et le feu pour les alaouites", la communauté à laquelle appartient le président Bachar al-Assad.
Malgré la présence de francs-tireurs, à une centaine de mètres, et malgré les tirs d'obus intermittents, les ouvriers sont au travail et refont des murs, repeignent, installent des générateurs et des câbles.
"Quand je suis revenu, mon usine avait brûlé. Tous les murs que vous voyez, je les ai reconstruits et repeints. Et maintenant je répare mes machines", assure Mohammad Hajar, 51 ans, patron d’al-Bayane, fabricant de tissus d'ameublement qu’il exportait en Bulgarie, en Roumanie et en Serbie.
"Pendant deux ans j’ai dormi! Alors maintenant, je travaille jour et nuit. J'avais six machines à tisser italiennes. Deux, légèrement endommagées, n'ont pas mis longtemps à fonctionner à nouveau, deux autres étaient brûlées et je les ai remises en état", explique cet homme dynamique.
Deux machines calcinées, recouvertes d’une bâche, attendent leur tour, mais l’usine fonctionne et Mohammad fabrique chaque jour 1.000 mètres de tissu coloré. Les réparations lui ont coûté 75.000 dollars et il en faudrait huit fois plus pour que son usine marche à plein rendement.
La cité industrielle a vu le jour en 2004. L'objectif était d’accueillir 6.000 sociétés et 1.250 fonctionnaient déjà, en majorité dans le textile, mais aussi dans l'ingénierie, l’alimentation, les produits chimiques et pharmaceutiques, en employant 42.000 personnes. Aujourd’hui, 140 entreprises ont rouvert leurs portes et M. Hamdie espère en avoir près de 900 d’ici deux ans.
Pour cela, l’Etat devrait investir 12,5 millions de dollars dans les infrastructures car la zone manque de tout et les entrepreneurs n'ont que 500 millions de dollars, selon M. Hamdie. Or, dans un pays en guerre depuis près de quatre ans, c’est l’argent qui manque surtout.
Il accuse la Turquie d'avoir pillé des machines qui se trouvaient dans la cité industrielle et assure que beaucoup d'entre elles se trouvent désormais dans le pays voisin qui soutient l’insurrection contre le régime d'Assad.
"J’ai cessé de travailler en 2012 et j’ai vécu comme un mort vivant durant deux ans mais je peux dire que j’ai ressuscité depuis que je suis dans mon usine. Regardez-moi, je suis bien vivant! Et maintenant je reconstruis, je repeins, je restaure. Je ne vais pas mourir, nous sommes un peuple qui n'est pas né pour mourir", affirme très ému Mouaffak Abaoui, directeur de l’usine de matière plastique Hamwi.