Sous les palmiers cernant la plage, Mme Wang valse le sourire aux lèvres: le climat tropical de l'île de Hainan attire chaque hiver des centaines de milliers de retraités qui fuient comme elle le froid mordant et la pollution du nord-est de la Chine.
"Chez nous à Harbin, il fait -30 degrés, c'est insupportable! Ici, le climat est parfait", avec un mercure dépassant 25 degrés en moyenne sur l'année, sourit Mme Wang.
La septuagénaire habite la capitale du Heilongjiang, une province charbonnière aux confins de la Sibérie connue pour ses sculptures sur glace, ses industries lourdes et un brouillard de pollution endémique.
En 2008, elle et son mari, jeunes retraités, ont fait leurs valises pour s'installer quelques mois à Sanya, grande station balnéaire de Hainan, la province la plus méridionale de Chine. Depuis, ils y retournent chaque hiver d'octobre à avril - la chaleur y est intenable le reste de l'année.
A Hainan, île faiblement industrialisée, "on peut vraiment respirer!", renchérit Qi Ningxia, une sexagénaire également originaire du Heilongjiang qui rejoint en chemisette les danseurs en bord de mer.
Mme Qi, venue pour son premier hiver avec son mari et leur petite-fille, a constaté une rémission de l'asthme qui l'assaillait dans le smog du nord-est chinois. "Et on y retrouve tellement de gens de notre province qu'on est sûrs de ne pas s'ennuyer", ajoute-t-elle.
Les deux pétulantes retraitées, qui agitent leur éventail dans la moiteur vespérale, illustrent une migration de masse qui rappelle l'attractivité de la Floride pour les retraités américains.
- 'Oiseaux migrateurs' -
Entre 600.000 et 700.000 personnes âgées s'installent chaque hiver à Sanya, doublant quasiment la population de la ville, explique à l'AFP Huang Cheng, sociologue de l'université locale Yangguang.
Près de la moitié de ces "oiseaux migrateurs", comme ils sont surnommés, viennent des trois provinces de l'ex-Mandchourie (nord-est), la "ceinture de rouille" du pays.
Vers l'an 2000, des Chinois de cette région ont commencé à s'installer à Sanya, à l'époque où le mètre carré s'y négociait à seulement 2.000 yuans (275 euros), avant d'y attirer parents et amis, explique M. Huang. L'effet "boule de neige" s'est traduit après 2010 par une explosion des arrivées de retraités.
Dans l'après-midi, à quelques rues du littoral, le claquement des pièces de mah-jong retentit dans une cour ombragée: s'y trouve une "université du troisième âge", l'un des innombrables centres de loisirs de ce type à Sanya.
"Nous proposons du ping-pong, des échecs, des cours de calligraphie ou d'informatique", énumère avec fierté Mme Zhang, directrice du centre. "Les gens du nord-est relèvent le niveau culturel de Sanya. Ils sont autrement plus talentueux que les gens du cru".
La pique de cette Pékinoise est cruelle: Sanya était il y a quarante ans un village de pêcheurs sous-développé; et lîle de Hainan elle-même était à l'époque impériale un lieu d'exil pour criminels et lettrés en disgrâce.
- Club Med et riches étrangers -
Aujourd'hui, le Club Med y possède un village-vacances et les autorités locales ambitionnent d'y attirer une riche clientèle de touristes internationaux à coup d'investissements dans des marinas et de luxueux complexes résidentiels.
Non sans succès: Sanya a enregistré 15 millions de visiteurs en 2015, soit 70% de plus que cinq ans auparavant, un boom devenu le principal moteur de l'économie provinciale.
Les retraités du nord-est cadrent mal dans ce tableau: l'immense majorité font leurs emplettes sur les marchés aux primeurs plutôt que dans les centres commerciaux flambant neufs, et jouent aux cartes plutôt qu'au golf.
La moitié des retraités passant l'hiver à Sanya --parmi lesquels beaucoup d'ex-ouvriers des mines ou de la sidérurgie-- vivent avec moins de 3.000 yuans (410 euros) par mois, selon Huang Cheng. Ils logent à l'étroit dans de grands ensembles loin du front de mer ou chez l'habitant.
"Pas vraiment le profil des visiteurs que veulent séduire les autorités", ironise l'universitaire. Néanmoins, la municipalité "ne s'oppose pas au phénomène, même si elle ne l'encourage pas non plus", note-t-il.
- Grincements de dents -
Ces résidents temporaires provoquent des grincements de dents parmi les "locaux": sous l'effet du doublement hivernal de la population, les prix des produits frais s'affolent (ceux des fruits de mer triplent au Nouvel An chinois) et l'immobilier s'envole.
Certes, la majorité se contente de louer pour l'hiver un logement, souvent modeste, mais ils sont de plus en plus nombreux à acquérir un pied-à-terre: les étrangers à l'île y accaparent 70% des achats immobiliers, propulsant Sanya parmi les villes les plus chères de Chine.
Autre souci: les hôpitaux locaux, complètement saturés et démunis face aux maladies cardiovasculaires typiques du nord, "peinent à répondre à l'explosion des besoins", observe Huang Cheng.
"Il faut laisser le temps aux infrastructures de s'adapter", tempère An Honglian, directrice de l'ONG Yihe, qui gère une ligne d'assistance téléphonique pour les retraités.
Elle en est persuadée: alors que plus de 200 millions de Chinois ont plus de 60 ans, le phénomène des retraités "migrateurs" va s'intensifier. D'autres provinces méridionales, du Yunnan au Guangxi, en bénéficient déjà.
Mme Wang, pour sa part, entend rester fidèle à Sanya, où son fils et ses petits-enfants la rejoignent pour le Nouvel An lunaire: "Il y a les embruns, c'est bon pour la santé de toute la famille", tranche-t-elle.