"Sauvez la forêt Atewa maintenant!", peut-on lire sur un panneau géant à Kyebi, dans l'est du Ghana: dans la région d'origine du président Nana Akufo-Addo, qui abrite une réserve de biodiversité exceptionnelle, les défenseurs de l'environnement s'inquiètent de projets chinois pour exploiter le sol riche en bauxite.
A une centaine de kilomètres de la capitale Accra, les sommets montagneux de la réserve forestière Atewa se détachent des champs de manioc et des plantations de bananes et de cacao avant de se noyer dans les nuages.
De nombreuses espèces menacées de primates, pangolins, oiseaux et papillons rares peuplent la montagne, ses cascades, ses falaises et ses grottes secrètes.
Mais sous la végétation tropicale, la réserve abrite aussi un important gisement de bauxite, très convoité, qui donne à la terre sa teinte rouge et constitue un élément essentiel dans la production d'aluminium.
Selon un scénario désormais familier en Afrique, la Chine a promis au Ghana des milliards de dollars d'investissements d'infrastructures en échange de contrats miniers pour exploiter la bauxite du pays. Accra dit promouvoir une politique "de commerce, pas d'assistance".
Mais beaucoup s'inquiètent de voir les forêts comme celle d'Atewa bradées à des sociétés peu soucieuses de l'impact environnemental.
Le chef de l'Etat s'est, certes, engagé à protéger la réserve d'Atewa. Une équipe de gardes forestiers et de bénévoles armés de machettes patrouille dans la réserve pour lutter contre le braconnage et l'exploitation illégale de bois.
- "Gros, gros problèmes" -
Mais le sol porte encore les stigmates d'anciennes mines d'orpaillage artisanal fermées par les autorités. Et selon les défenseurs de l'environnement, l'exploitation de la bauxite représente une menace encore plus importante car des pans entiers de forêts seront alors rasés et les trous profonds creusés par les pelleteuses abimeront durablement les sols.
Cela laisse présager "de gros, gros problèmes", affirme Daryl Bosu, directeur adjoint de l'ONG environnementale A Rocha Ghana.
"L'exploitation de la bauxite n'a rien à voir avec l'orpaillage, où l'on peut extraire le sable, isoler (le minerai) et remettre le sable à sa place", explique-t-il à l'AFP. "Là, vous emportez toute la terre et avant cela, vous devez défricher la forêt pour y accéder."
La déforestation pourrait entrainer des glissements de terrain. Les précipitations s'en trouveraient elles aussi affectées, avec de possibles répercussions sur les fermes agricoles.
Avec l'exploitation de la bauxite, pointe également le risque de pollution des trois rivières qui approvisionnent aujourd'hui les communautés installées en aval, dont les 5 millions d'habitants de la mégapole d'Accra.
- Primates, papillons et grenouilles -
Sur la route, des panneaux tentent de sensibiliser les Ghanéens à la cause des primates dont la survie est menacée dans la forêt, qui abrite aussi des papillons endémiques aux couleurs chatoyantes et une espèce rare de grenouilles.
"Si la forêt disparait, tous ces animaux perdront leur habitat", affirme Emmanuel Akom, chef de projet pour l'ONG A Rocha à Kyebi, la principale ville près de la réserve.
Les convoitises autour de la bauxite ne sont pas nouvelles dans la région, où plusieurs sociétés ont tenté de s'implanter depuis une dizaine d'années.
En 2008, le géant de l'aluminium Alcoa (NYSE:AA) et la société d'Etat ghanéenne Volta Aluminium Company Ltd (Valco) sont venus forer dans les collines pour prélever des échantillons, raconte Prince Amankwa, un habitant d'Asikam, un des 50 villages entourant la réserve. Dix ans plus tard, les prélèvements reposent encore dans une cabane du village, suite à l'abandon du projet controversé.
Des responsables du gouvernement ghanéen et une équipe envoyée par une société chinoise sont également venus récemment visiter la zone, selon M. Amankwa.
Certains habitants d'Asikam se disent favorables à l'exploitation de la mine, qui permettra selon eux de créer des emplois, de construire des routes goudronnées et d'obtenir du réseau téléphonique dans cette région reculée.
L'exploitation minière "est une très bonne chose parce qu'ici les jeunes ne trouvent pas de travail" et vivent d'une agriculture de subsistance, affirme à l'AFP le chef du village, Bafour Kyere Koranteng.
- Opposition croissante -
Mais alors que le parlement du Ghana travaille actuellement sur le cadre légal qui permettra de donner le feu vert à l'exploitation de la bauxite dans la forêt d'Atewa, de plus en plus de voix s'élèvent contre ce projet, notamment dans l'opposition politique.
La perspective de se lier encore davantage auprès des Chinois avec des contrats de prêts ou d'échange chiffrés en milliards d'euros inquiète dans la sphère politico-économique. Certains évoquent des conséquences sur le profil de la dette ghanéenne. Plusieurs pétitions internationales ont été lancées pour demander au gouvernement de se rétracter.
Plus tôt dans l'année, des centaines de personnes ont marché depuis Kyebi jusqu'à Jubilee House, la résidence officielle du président à Accra, pour protester.
Le président "est très conscient du problème", affirme Emmanuel Tabi, un responsable local du parti au pouvoir, le New Patriotic Party. "Il a des oncles, des cousins, une soeur ici à Kyebi".
M. Tabi se montre lui aussi sceptique quant aux promesses d'emplois et de retombées économiques de la mine pour la région et milite plutôt pour la transformation de la réserve d'Atewa en parc national, pour mieux la protéger.
Il se dit favorable au développement du tourisme, tout en reconnaissant que beaucoup ici attendent du chef de l'Etat qu'il investisse dans sa région d'origine afin de pourvoir les communautés locales de travail et de revenus.
"Nous ne sommes pas contre l'exploitation de la bauxite: nous sommes contre la destruction de cette forêt", dit M. Tabi.