Pete Saenz, le maire de la ville texane de Laredo, observe les barbelés qui longent désormais sa cité frontalière débordante d'activité, et il est mal à l'aise.
"C'est une surprise pour certains d'entre nous, un choc à vrai dire", dit-il à l'AFP. "Nous n'avons pas l'habitude des barbelés."
Laredo, dont les 260.000 habitants sont à 95% d'origine hispanique, est l'une des zones frontalières "renforcées" par quelque 5.900 soldats américains sur ordre du président américain Donald Trump.
Dans le cadre de cette opération controversée, l'armée américaine a déroulé des kilomètres de barbelés le long des rives du Rio grande, qui marque la frontière avec le Mexique, et les habitants commencent à craindre des répercussions économiques pour une ville qui dépend largement du commerce transfrontalier.
Rencontré dans son bureau où un drapeau mexicain flotte à côté du drapeau américain, Pete Saenz dit comprendre le désir du gouvernement fédéral de protéger la frontière. Mais il craint que la forte présence militaire dans la ville fasse chuter le trafic piétonnier entre Laredo et sa ville jumelle de Nuevo Laredo, de l'autre côté de la frontière.
"Visuellement, ce n'est pas joli. Il est évident que si nous avions eu notre mot à dire en tant que ville, nous nous serions opposés aux barbelés", ajoute le maire, notant que la municipalité a envisagé de contester en justice l'emplacement de cette barrière.
La clientèle mexicaine représente entre 40 et 50% du chiffre d'affaires des commerces locaux, notamment le vaste centre commercial qui regroupe des magasins d'usine offrant plus de choix et de meilleurs prix qu'à Nuevo Laredo.
Les résidents mexicains ont le droit de se rendre à Laredo pour y faire des achats où y travailler, à condition de présenter un permis spécial. Quelque 17.000 personnes franchissent ainsi la frontière chaque jour, en empruntant un pont toujours encombré.
- "Soudés" -
"Ce n'est pas bien que (Donald Trump) ait fait placer ces barbelés. Les Mexicains, ils vont là-bas, ils achètent, ils y laissent leur argent", commente Sandra Chavez, une Américaine rencontrée à Nuevo Laredo, côté mexicain. "Ils ne font rien de mal".
Les commerçants s'inquiètent d'autant plus qu'à cette période l'année, l'activité est généralement frénétique autour de Thanksgiving et de Noël.
Pour Pete Saenz, il est trop tôt pour savoir si le trafic transfrontalier légal a diminué, mais certains ont déjà remarqué des changements.
"Il semble qu'il y ait davantage de magasins fermés" qu'il y a deux ans, note Laura Pole, une touriste britannique qui a visité la ville trois fois ces dernières années. Le centre-ville "ressemble plus à une ville fantôme".
Loin de la place centrale, les employés des grands magasins disent n'avoir encore constaté aucun changement.
Laredo est inextricablement liée au Mexique: l'espagnol y est de loin la langue dominante et la ville a changé plusieurs fois de mains au 19e siècle, appartenant brièvement au Mexique.
"Je dis souvent que nous sommes soudés" avec le Mexique, dit Pete Saenz.
Le trafic piéton frontalier va dans les deux sens: les Américains vont chercher au Mexique des produits pharmaceutiques et profiter de l'immobilier moins cher. Parfois, les familles vivent des deux côtés de la frontière.
"Que l'armée soit déployée ici, c'est ridicule", souffle Angela Torres, une Américaine dont le mari a été expulsé. Elle vit maintenant à Nuevo Laredo et traverse la frontière tous les jours, tout en gardant une maison aux Etats-Unis.
Pour les détracteurs de Donald Trump, l'opération n'avait pour objectif que de galvaniser sa base à quelques jours des élections de mi-mandat. Selon le Pentagone, si les effectifs sont maintenus jusqu'au 15 décembre comme prévu, elle aura coûté 72 millions de dollars.
Mais un garde-frontière, qui n'est pas autorisé à s'identifier, dit apprécier l'aide des militaires car chaque jour, des centaines de migrants tentent de franchir illégalement les quelque 50 kilomètres de frontière qu'il surveille.
Laredo est le plus gros point de passage de marchandises entrant aux Etats-Unis après le port de Long Beach en Californie. Quelque 214 milliards de dollars de marchandises y transitent chaque année par camion.
"C'est le moteur de notre économie: le commerce, la logistique, la distribution. C'est pourquoi nos relations avec le Mexique sont si importantes", explique le maire. La frontière, "on la vit, on la sent, on la comprend. Et économiquement, on en dépend".