Le cauchemar de l'inflation est de retour au Zimbabwe. Malgré la suppression de la parité fixe entre la pseudo-monnaie locale et le dollar américain, les prix n'en finissent plus de grimper, réduisant à néant les promesses de sortie de crise du gouvernement.
Dans les rues de Harare, la valse des étiquettes a pris un sens littéral qui a ravivé les pires souvenirs de la population.
Rien que cette semaine, le prix de la miche de pain a doublé de 1,80 à 3,50 dollars, comme celui de la barquette de 500 g de beurre, passé de 8,5 à 17,7 dollars. Quant au tarif du trajet en minibus, il a augmenté de 50 à 100%.
Selon l'Institut national de la statistique (ZimStats), le taux annuel d'inflation a atteint en mars 66,8%.
A l'origine de ce bond, il y a la décision du président Emmerson Mnangagwa de supprimer la parité fixe entre le dollar américain et sa pseudo-monnaie, le "bond note", dont la valeur ne cessait de dégringoler au marché noir.
Le Zimbabwe a abandonné en 2009 sa devise, dévaluée pour cause d'hyperinflation, au profit du dollar américain.
Mais les précieux billets verts se sont faits de plus en plus rares, au point d'étrangler l'économie. En 2016, le gouvernement a alors introduit ses "bonds notes", des obligations d'Etat de la même valeur que les billets verts.
Là encore, l'opération a échoué. La valeur des "bonds notes" s'est écroulée, l'inflation a repris, creusé les déficits et provoqué, ces derniers mois, le retour des pénuries de produits de base comme le pétrole, le sucre ou la farine.
Il y a deux mois, M. Mnangagwa espérait assécher le marché noir en laissant flotter ses "bond notes", rebaptisés pour l'occasion dollars RTGS (real time gross settlement).
- 'Retour en 2008' -
Le gouverneur de la Banque centrale John Mangudya assurait même qu'ils freineraient la hausse des prix. Redouté par les analystes comme les acteurs économiques, l'échec est cinglant.
"Les prix bougent au rythme de la dépréciation du RTGS et les salaires restent à la traîne", résume le patron du plus grand syndicat du pays (ZCTU), Japhet Moyo, "les autorités tentent de donner le change en affirmant que l'économie rebondit mais, sur le terrain, c'est tout le contraire".
"On est de retour en 2008", estime Tonderai Chitsvari, un habitant du quartier de Kuwadzana, dans le sud de Harare. "Les prix montent mais les salaires restent les mêmes. C'est un miracle que les gens survivent."
Manque de liquidités, monnaie en chute libre, forte inflation, chômage endémique, le Zimbabwe est englué depuis deux décennies dans une interminable crise.
L'économiste Gift Mugano l'attribue à l'incapacité de l'économie locale à produire des denrées de base.
"L'an dernier par exemple, nous avons dépensé 2,3 milliards de dollars pour importer des fruits et légumes, du soja, du blé, du papier (...) et des médicaments", note-t-il, "il faudrait garder nos maigres devises étrangères en produisant nous-mêmes le blé pour produire notre pain ou le soja pour notre huile".
"Il faut réduire certaines de nos importations et promouvoir la production locale", conseille aussi le président de la Confédération des industries du Zimbabwe, Sifelani Jabangwe.
Au pouvoir depuis la démission forcée de Robert Mugabe fin 2017, M. Mnangagwa semble démuni.
- 'Inhumain' -
Ses appels aux investissements étrangers et ses engagements à créer des emplois sont jusque-là restés lettre morte.
En janvier, sa décision de multiplier par plus de deux le prix des carburants pour enrayer les pénuries a même causé de violentes émeutes, aussitôt étouffées par une violente répression qui lui a valu les critiques du monde entier.
Malgré cette hausse, les queues n'ont pas disparu devant les stations-service du pays.
Depuis des semaines, le chef de l'Etat exhorte industriels et commerçants à stabiliser leurs prix.
Les hausses "font souffrir le peuple", a-t-il regretté jeudi à l'occasion de la fête nationale, elles sont "inhumaines, immorales, antipatriotiques". "Le gouvernement reste déterminé à restaurer le pouvoir d'achat", a assuré le président.
Au sein du gouvernement, certains en doutent. Le vice-ministre de l'Information Energy Mutodi a publiquement prôné un "contrôle des prix destiné à protéger les pauvres".
Jeudi, le chef de l'opposition Nelson Chamisa a, lui, fustigé "la dure réalité" d'un pays dont "la plupart des habitants sont étourdis par la pauvreté abjecte et les frustrations".
"Le niveau de vie baisse. Les gens n'achètent plus que ce qu'ils peuvent et non plus ce qu'ils devraient", alerte l'économiste John Robertson, "cela va affecter leur santé, mentale et physique, et encore réduire leur productivité".