PARIS (Reuters) - Les représentants français du culte musulman ne sont pas hostiles à une modification de la loi 1905 sur la séparation des églises et de l'Etat à laquelle réfléchit le gouvernement dans le cadre de son plan d'organisation de l'islam de France.
"On ne sera pas offensés par une éventuelle modification de la loi de 1905 qui a un intérêt pour tous les cultes", a déclaré vendredi à Reuters Ahmet Ogras, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), après une réunion jeudi soir avec le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner.
Anouar Kbibech, vice-président de l'instance représentative du culte musulman, a insisté sur les "conditions" posées par le CFCM à "un dialogue et une concertation approfondis : qu'il n'y ait pas d'amalgame entre islam, islamisme et terrorisme".
La réforme de la loi de 1905, si elle est décidée, s'appliquera à tous les cultes, bien que l'islam soit particulièrement visé dans le sillage des attentats de 2015 et des fermetures de mosquées décidées lors de l'état d'urgence.
"Il y a un travail préalable de concertation en cours avec les représentants des cultes, mais aussi avec les représentants des sensibilités laïques", indique-t-on dans l'entourage du ministre de l'Intérieur.
Outre l'objectif de transparence des associations qui gèrent les lieux de culte, et d'amélioration de leur gouvernance, il s'agit également de mieux faire respecter l'ordre public.
DÈS LE PREMIER EURO
La France compte quelque 2.500 mosquées et salles de prière musulmanes mais nombre d'entre elles sont gérées par des associations classiques dites "loi de 1901", pour des raisons historiques, d'ignorance des textes et aussi parce que cela leur permet de gérer certaines activités culturelles en même temps.
L'encadrement des associations cultuelles "loi de 1905" étant plus strict que celui, général, de la loi de 1901, il s'agit d'aligner les deux régimes sur certains points pour tenir compte de cette réalité.
"L'enjeu est de soumettre les associations qui font l'exercice public du culte à des obligations communes, quel que soit leur statut juridique", explique-t-on au ministère.
Ce "cadre" juridique qu'Emmanuel Macron avait promis en juillet pour cet automne, ne devrait pas être dévoilé avant janvier 2019 et le chef de l'Etat a évoqué mardi devant la communauté française à Bruxelles "des choix importants sur l'organisation des religions".
Parmi les pistes à l'étude : étendre l'obligation de publier des comptes dès le premier euro, en vigueur depuis août 2018 pour les associations loi de 1905, aux lieux de culte sous le régime 1901. Aujourd'hui, seules les associations recevant des dons supérieurs à 153.000 euros doivent publier des comptes.
MONTRER PATTE BLANCHE
Le gouvernement réfléchit aussi à la possibilité d'obliger les associations à déclarer leurs financements étrangers et à publier un état de leurs lieux de culte afin d'identifier quel lieu est rattaché à quelle association.
Le ministre de l'Intérieur a également dit au CFCM son souhait que les dons supérieurs à 10.000 euros soient déclarés, indique Anouar Kbibech, mais qu'il s'agissait d'"une simple déclaration, et pas d'une autorisation."
Les deux types d'associations étant mises à égalité en matière de transparence, et comme les 1905 bénéficient de certains privilèges, notamment de permettre à leurs donateurs de déduire leurs offrandes de leurs impôts, les "1901" pourraient être incitées à changer de statut.
Il s'agirait désormais de montrer patte blanche et de faire reconnaître sa qualité cultuelle au moment de la déclaration en préfecture. L'association se verrait ainsi accorder par le préfet une sorte de label de qualité cultuelle.
"Le ministre nous a dit que ce label pourrait être remis en cause au bout de cinq cas dans deux cas d'extrême gravité : s'il s'avère que le lieu de culte reçoit des dons d'un organisme lié au terrorisme ou s'il met en péril l'ordre public", indique Anouar Kbibech.
Enfin, en matière de respect de l'ordre public, l'interdiction d'organiser des réunions politiques dans les lieux de culte serait réaffirmée. Il s'agirait de remettre en vigueur les sanctions (peine de prison et amendes) pour non-respect de cette obligation en les renforçant. Ces sanctions ne sont actuellement pas applicables, car elles n'ont pas été inscrites dans le nouveau code pénal de 1992.
Quant aux appels à la haine et au meurtre qui pourraient être lancés par certains prédicateurs, ils sont déjà réprimés par la loi, mais les associations pourraient désormais être tenues responsables de ce qui se dit dans leurs murs et pourraient être passibles de sanctions en cas de laisser-faire.
(Danielle Rouquié avec Jean-Baptiste Vey, édité par Yves Clarisse)