La Palme d'or pourrait ne jamais sortir en salles en France après l'échec des discussions entre Netflix (NASDAQ:NFLX) et le Festival de Cannes: une situation qui illustre les contradictions d'une plateforme qui se comporte comme un studio de cinéma mais veut rester sur son créneau de la vidéo en ligne.
Face au tollé suscité par la présence de Netflix en compétition à Cannes (avec "Okja" de Bong Joon-ho et "The Meyerowitz Stories" de Noah Baumbach), le Festival de Cannes a annoncé mercredi un changement de son règlement pour l'édition 2018.
"Dorénavant, tout film qui souhaitera concourir en compétition à Cannes devra préalablement s’engager à être distribué dans les salles françaises", affirment les organisateurs dans un communiqué.
Objet du contentieux: le modèle de diffusion des films de Netflix (en même temps en ligne et en salles), qui fait grincer des dents de part et d'autre de l'Atlantique, et se heurte à une difficulté supplémentaire en France.
La réglementation (la chronologie des médias, ndlr) impose dans l'Hexagone un délai de trois ans après sa sortie en salles avant qu'un film puisse être disponible sur une plateforme, afin de protéger principalement les salles. Des négociations pour faire évoluer ce cadre sont en cours.
Dans la stratégie de Netflix, "les salles de cinéma viennent ajouter une degré de complexité par rapport aux séries", souligne Pascal Lechevallier, consultant médias. "Mais force est de constater que tout ne peut pas sortir en salles".
"Le débat se cristallise parce que c'est Cannes, parce que c'est Netflix, mais il faut que ça bouge, le public n'attend que ça", insiste-t-il, évoquant des spectateurs prêts à regarder des films sur smartphone ou tablette.
Face à la montée au créneau des exploitants français, Netflix avait proposé une sortie des films cannois dans quelques salles de l'Hexagone, sans davantage de détails sur le dispositif envisagé.
"Nous sommes convaincus que les cinéphiles français n’ont pas envie de voir ces films trois ans après le reste du monde", avait mis en avant la plateforme, mais aucun accord n'a finalement été trouvé avec le Festival.
- En quête de légitimité -
D'entreprise spécialisée dans la location de DVD par la poste, Netflix est devenu en vingt ans un mastodonte de la vidéo en ligne par abonnement (SVOD) présent dans 200 pays, avec 100 millions d'abonnés.
Après avoir misé sur les séries, il s'impose désormais dans le cinéma en achetant à tour de bras les droits de films et développant des activités de producteur.
"La présence de Netflix à Cannes donne une certaine légitimité artistique et critique à leur production cinéma, comme les nominations aux Emmy Awards pour leur production télévisée", estime Robert Thompson, professeur à l'Université de Syracuse, aux États-Unis.
Netflix a déjà fait son entrée dans les festivals: à Venise en 2015 (avec "Beasts of no nation" sur les enfants-soldats), puis il a remporté le grand prix à Sundance en 2017 ("I don't Feel at Home in This World Anymore", avec Elijah Wood).
Pour Robert Thompson, spécialiste de la télévision, Netflix agit désormais "comme un studio", même s'il semble décidé à rester sur le créneau de la vidéo en ligne, au grand dam des exploitants de salles.
La plateforme, elle, accuse ces derniers d'être à la traîne. Récemment le patron de la plateforme, Reed Hastings, a affirmé qu'en trente ans, seul "le popcorn s'est amélioré" au cinéma.
Il y a deux ans à Cannes, c'était Ted Sarandos, en charge des contenus, qui s'en était pris à la réglementation européenne qui, selon lui, affaiblit le cinéma. Il pourrait être de retour sur la Croisette cette année.
Se défendant d'avoir fait entrer le loup dans la bergerie, les organisateurs du Festival de Cannes ont plusieurs fois mis en avant le profil des réalisateurs collaborant avec Netflix, des auteurs reconnus.
Il est normal qu'"un festival de cinéma en 2017, le plus grand d'entre eux, prenne acte de nouvelles formes de création produites différemment", expliquait récemment à l'AFP Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes.