par Michael Georgy
BAGDAD (Reuters) - Le Premier ministre irakien, Nouri al Maliki, s'efforçait lundi de conserver son poste après le déploiement dans Bagdad de troupes fidèles à son camp, tandis que ses anciens alliés désignaient son remplaçant et que l'Occident l'exhortait à ne pas faire obstacle au changement.
La crise politique s'envenime alors que les combattants sunnites de l'Etat islamique viennent de remporter de nouveaux succès face aux forces kurdes au nord de la capitale et que l'Occident plaide pour la formation d'un gouvernement d'unité nationale.
Accusé d'avoir attisé les violences intercommunautaires en privilégiant les chiites, Nouri al Maliki, après avoir rejeté les appels à la démission lancés par les sunnites, les kurdes mais aussi des chiites dont le grand ayatollah Ali Sistani et ses alliés à Téhéran, a ordonné dimanche le déploiement de commandos des forces spéciales dans Bagdad.
Une source policière a évoqué un déploiement sans précédent, "notamment dans les secteurs sensibles proches de la Zone verte et aux entrées de la capitale".
Mais le Premier ministre a subi un revers lundi avec la désignation par l'Alliance nationale, la coalition chiite au parlement, du vice-président du parlement Haïder al Abadi pour lui succéder. Le président a demandé peu après à Haïder al Abadi de former un gouvernement.
"La nomination (d'Abadi) est illégale et enfreint la Constitution. Nous allons porter devant la Cour fédérale notre opposition à cette nomination", a déclaré Hussein al Maliki, gendre du chef du gouvernement.
L'initiative du président Fouad Massoum est soutenue entre autres par les Etats-Unis, qui avaient pourtant orchestré l'arrivée de Nouri al Maliki à la tête du gouvernement en 2006, alors qu'ils occupaient le pays.
"Le processus de formation du gouvernement est essentiel pour la stabilité et le calme en Irak et nous espérons que M. Maliki ne va pas semer la pagaille", a dit John Kerry lundi.
Assurant que la population irakienne était favorable au changement, il a prévenu qu'"il ne doit y avoir aucun usage de la force, aucune intervention de l'armée ou de milices dans ce moment de démocratie en Irak".
INCERTITUDE INSTITUTIONNELLE
Dimanche, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, lors d'une brève visite à Erbil, la capitale de la région autonome du Kurdistan irakien, avait jugé pour sa part que "l'Irak a besoin d'un gouvernement d'unité, de large unité".
"Il faut que tous les Irakiens se sentent représentés et puissent mener la bataille contre le terrorisme", avait-il ajouté.
Peu avant la décision de l'Alliance nationale, l'incertitude institutionnelle s'était accrue avec la publication par la Cour suprême fédérale irakienne d'un arrêt censé clarifier les règles de formation d'un gouvernement et interprété dans un premier temps comme favorable à Nouri al Maliki.
Sans désigner un groupe politique en particulier, les magistrats de la Cour ont estimé que le groupe politique le plus important au parlement était prioritaire pour désigner le Premier ministre.
Mais ils n'ont pas tranché clairement sur une question clé: le premier groupe parlementaire est-il seulement celui de l'Etat de droit, le parti de Nouri al Maliki, ou l'Alliance nationale, la coalition chiite dont l'Etat de droit n'est qu'une composante ?
Toutefois, en faisant explicitement référence aux droits du plus important groupe parlementaire lors de la première session du nouveau parlement - le 1er juillet - la Cour a semblé exclure l'Alliance nationale, qui n'était à cette date pas encore parvenue à se faire reconnaître comme groupe parlementaire.
Critiqué de toutes parts pour son autoritarisme et une pratique jugée sectaire du pouvoir, Nouri al Maliki est notamment accusé par ses détracteurs d'avoir favorisé l'émergence des djihadistes de l'Etat islamique en nourrissant les frustrations de la communauté sunnite irakienne.
"MALIKI JOUE UN JEU À HAUT RISQUE"
"Maliki sait qu'il lui sera très difficile de décrocher un troisième mandat et il joue un jeu à haut risque pour tenter d'assurer son autorité et son influence sur le nouveau gouvernement, quel qu'en soit officiellement le Premier ministre", commente Kamran Bokhari, spécialiste du Moyen-Orient au cabinet spécialisé Strafor.
Nouri al Maliki, chargé d'expédier les affaires courantes après les élections législatives d'avril, qui n'avaient pas dégagé de majorité solide, a déjà placé des chiites fidèles à des postes clés au sein de l'armée.
Face à cette attitude, les Etats-Unis et d'autres pays occidentaux estiment depuis l'offensive lancée début juin par l'Etat islamique, qu'il n'y aura pas de solution durable et viable en Irak sans constitution d'un gouvernement le plus "inclusif" possible, c'est-à-dire sans l'actuel Premier ministre.
L'Etat islamique est de fait le principal bénéficiaire du blocage politique et des tensions entre communautés, qui lui ont permis de remporter victoire sur victoire dans le nord du pays depuis la frontière syrienne.
Le groupe sunnite a pris lundi la ville de Djalaoula, à 115 km au nord-est de Bagdad, après des semaines de combats contre les peshmerga kurdes, a annoncé la police irakienne.
Ses succès militaires et l'incapacité de l'armée comme des Kurdes à les contenir ont conduit les Etats-Unis à décider des frappes contre ses positions militaires, notamment près d'Erbil, parallèlement à des parachutages d'aide humanitaire en coordination avec d'autres pays occidentaux, dont la France.
De telles frappes ont eu lieu au cours des trois derniers jours et Washington se refuse à dire quand elles cesseront.
Les forces de l'Etat islamique ne sont plus qu'à quelques dizaines de kilomètres d'Erbil. Leur récente avancée a fait des centaines de morts selon Bagdad, notamment au sein de la communauté chrétienne et de la minorité religieuse des Yazidis.
(Marc Angrand pour le service français)