C'était à l'aube des années 2000, les fabricants japonais de textile traversaient une très mauvaise passe. Aujourd'hui, l'un d'eux au moins, Toray, a le sourire, sauvé par les vêtements techniques pour Uniqlo et les fibres de carbone pour Boeing (N:BA).
"La situation était difficile: tous les industriels du secteur cédaient des usines et pans entiers de leur activité de fibres textiles", se souvient Hajime Ishii, un dirigeant de Toray Industries, lors d'un entretien avec l'AFP à Tokyo.
Sur le plan industriel, la compétitivité des fabricants de textile était faible et sur le plan commercial, les circuits de distribution trop complexes de sorte qu'à l'arrivée les prix pour le consommateur s'en trouvaient très élevés.
"En avril 2000, Tadashi Yanai (fondateur et patron d'Uniqlo) a rendu visite à notre PDG pour lui faire part de sa volonté d'aider le secteur à se réformer", raconte M. Ishii.
Les deux hommes partageaient le même point de vue: la seule façon de survivre était d'en finir avec la structure lourde en place et de proposer des produits totalement nouveaux.
"Je veux que vous me fournissiez de façon régulière et à un prix correct un textile haut niveau pour des vêtements produits en grande série", a alors demandé M. Yanai à son interlocuteur, selon les propos rapportés par le responsable.
Ce fut le point de départ de ce qui allait devenir une large gamme de sous-vêtements et autres articles vendus sous l'appellation "HeatTech", en raison de leur propriété de rétention et amplification de la chaleur corporelle.
"Nous avons créé ex-nihilo une nouvelle composition de fibres avec deux critères premiers: finesse et chaleur", précise Tetsuo Horino, de la division de développement de Toray pour Uniqlo.
- Revenus doublés -
L'an passé, les textiles de Toray ont représenté 43% du chiffre d'affaires du groupe, une proportion qu'aucun de ses concurrents japonais n'a su garder.
Au cours des quinze dernières années, Toray, dont les racines remontent à 1926, a doublé ses revenus grâce non seulement à l'extension de ses activités, mais aussi à la forte augmentation des recettes tirées des fibres textiles pour Uniqlo.
Entre 2006 et 2010, le volume de transactions avec cette marque vedette du groupe Fast Retailing (T:9983) a avoisiné 2,5 milliards d'euros et devrait dépasser les 4 milliards pour la période 2011-2015, deuxième phase de leur collaboration.
"Toray fournit les fibres produites dans ses usines au Japon et fabrique les vêtements dans d'autres sites de production en Asie. Uniqlo codéveloppe les articles mais nous sous-traite toute la fabrication", précise M. Ishii.
Les vêtements HeatTech nés en 2003 se vendent par dizaines de millions d'exemplaires chaque hiver dans le monde, et surtout au Japon, faisant tant la fortune d'Uniqlo que celle de Toray.
"Je ne peux pas dire le pourcentage que cela représente dans notre activité de textiles, mais on peut dire que cela l'a sauvée", assure M. Ishii.
- des milliards de dollars à la clef -
Pendant quatre décennies, le groupe a investi dans le développement de fibres de carbone, sans que cela lui rapporte un yen. Désormais, c'est l'activité qui présente le potentiel de croissance le plus important comme en témoigne l'annonce lundi d'un nouveau contrat de fourniture de ce matériau à l'avionneur américain Boeing pour un montant supérieur à 11 milliards de dollars (10 milliards d'euros).
Boeing avait déjà signé en novembre 2005 une commande du même type qui portait sur une durée de 15 ans jusqu'à 2021.
"Contrairement à beaucoup d'autres, nous n'avons pas abandonné, car nous avions la conviction qu'à long terme les fibres de carbone trouveraient d'importants débouchés", souligne M. Ishii.
Toray, qui est aussi un fournisseur d'Airbus (PA:AIR), contrôle actuellement à lui seul environ un tiers du marché mondial des fibres de carbone, selon les statistiques du groupe économique Nikkei, et plus de 50% avec ses compatriotes Mitsubishi Rayon et Teijin.
Ce matériau composite, très résistant et léger, est de plus en plus utilisé dans l'aéronautique mais aussi dans les articles de sport, dans les réservoirs de stockage de gaz naturel, dans les éoliennes et est promis à un bel avenir dans l'automobile.