par Emmanuel Jarry
PARIS (Reuters) - La France n'entend plus seulement se défendre contre les attaques informatiques mais aussi se doter de moyens offensifs dans ce domaine, a déclaré jeudi son ministre de la Défense.
Jean-Yves Le Drian ouvrait à Paris le premier colloque international en Europe sur la cyberdéfense, en présence d'une vingtaine de délégations étrangères et de ses homologues belge et britannique, Steven Vandeput et Michael Fallon.
"Il nous faut travailler sur un emploi opérationnel de cette nouvelle composante" qu'est la "lutte informatique offensive", a-t-il déclaré à la presse. "Les effets opérationnels de la cyberdéfense peuvent largement se comparer à ceux de certaines armes conventionnelles."
L'objectif de ce colloque, dont une deuxième édition est prévue à Londres en 2016, était de jeter les bases d'un diagnostic partagé et d'une coopération entre pays alliés.
"Nous sommes victimes de cyberattaques que nous contenons au mieux mais elles croissent en ampleur et en sophistication et nos armées elles-mêmes le vivent sur les théâtres d'opération", a souligné Jean-Yves Le Drian.
Il a rappelé que les liaisons entre les drones du contingent français en Afghanistan et la France avaient été temporairement perturbées par une telle attaque.
Son ministère est la cible de plusieurs centaines d'"incidents informatiques" par an, comme des tentatives d'intrusion. Mais les principales inquiétudes sont ailleurs.
C'est notamment tout ce qui peut affecter le fonctionnement des équipements militaires. La menace peut parfois même venir de l'intérieur, comme le rappelle l'amiral Arnaud Coustillière.
"On a trouvé plus de 45 virus dans l'ordinateur portable d'un sous-traitant venu faire une maintenance sur un système d'armes qui devait tirer en exercice", raconte cet officier chargé de la cyberdéfense à l'état-major des armées.
Autre sujet d'inquiétude : l'émergence de mafias souvent originaires d'Europe de l'Est, dotées de moyens comparables à ceux d'Etats et susceptibles de vendre leurs services.
Enfin, l'organisation Etat islamique (EI) a montré ces dernières années qu'internet pouvait permettre de recruter, désinformer, et voler des données à des fins terroristes.
COMBAT NUMÉRIQUE
Ces activités visent aussi à démoraliser et terroriser l'adversaire pour l'empêcher de combattre ou à le désorganiser en propageant de fausses rumeurs, a souligné Jean-Yves Le Drian.
Les relais de Daech se trouvent "dans nos pays et utilisent nos infrastructures et opérateurs internet (et) font appel, au moins en partie, à de vrais professionnels", a-t-il précisé.
Michaël Fallon a pour sa part évoqué la dimension économique de la menace : "Le coût des violations de la sécurité numérique pour l'économie britannique a triplé en 12 mois et on est autour de 20 à 30 milliards de livres sterling par an."
Pour les forces armées, l'enjeu n'est cependant plus seulement défensif, a déclaré Jean-Yves Le Drian.
"Le premier enjeu est désormais (pour elles) d'intégrer le combat numérique, de le combiner avec les autres formes de combat", a expliqué le ministre français de la Défense.
La "lutte informatique offensive" peut ainsi constituer une nouvelle forme de frappe dans la profondeur, a fait valoir Jean-Yves Le Drian, qui a rappelé que le virus Stuxnet avait permis de retarder de plusieurs années le programme nucléaire iranien.
L'arme informatique peut aussi fournir un appui tactique aux combattants, par exemple en perturbant les défenses anti-aériennes, a-t-il poursuivi : "Priver l'adversaire de ses systèmes numériques en les neutralisant ou en les leurrant peut conférer un avantage déterminant dans une manoeuvre militaire."
Jean-Yves Le Drian a admis que la France disposait encore de capacités limitées dans ce domaine mais jugé la voie "tracée" pour leur développement.
La loi de programmation militaire 2014-2019 prévoit plus d'un milliard d'euros pour la cyberdéfense et le recrutement de plus d'un millier de personnes dédiées à ce type de lutte.
Le ministre devait officialiser jeudi après-midi la création à Rennes, en Bretagne d'un "pôle d'excellence cyber" combinant des compétences militaires, civiles et industrielles.
Le Premier ministre, Manuel Valls exposera quant à lui, le 16 octobre, une "stratégie d'ensemble", a-t-il précisé.
(Edité par Yves Clarisse)