La Banque centrale européenne se réunit demain, et les marchés sont impatients de savoir quand les réductions de taux d'intérêt commenceront. Tous les regards sont tournés vers le discours de Christine Lagarde, présidente de la BCE. Alors que le consensus penche pour une nouvelle approche attentiste en avril, suivie d'une première baisse en juin, l'atténuation des pressions inflationnistes ouvre la voie à la normalisation de la politique monétaire. Mais comme toujours, c'est à Francfort que revient la décision finale. Pour faire la lumière sur les résultats potentiels, Investing.com a rassemblé les points de vue des analystes avant la réunion du 11 avril.
Franck Dixmier, Global CIO Fixed Income de Allianz Global Investors
La Banque centrale européenne (BCE) n'a plus beaucoup de raisons de retarder la normalisation de sa politique monétaire. Le ralentissement de l'activité dans la zone euro est désormais derrière nous. Mais surtout, la BCE voit se confirmer sa prévision d'une inflation se rapprochant de son objectif. Les dernières données d'inflation de +2,4 % en glissement annuel en mars (contre +2,5 % attendus et +2,6 % en février) sont une bonne nouvelle. Cette tendance à la baisse se reflète également dans l'inflation de base (+2,9 % contre +3 % attendus et +3,1 % en février). Ces données confortent la révision significative à la baisse des prévisions d'inflation de la BCE pour les trois prochaines années présentées lors de la réunion du 7 mars (+2,3 % en 2024 contre +2,6 % précédemment et un retour à l'objectif de +2 % en 2025).
Il est donc probable que le point d'inflexion de la politique monétaire soit discuté lors de la réunion du 11 avril, et en particulier le calendrier de la première baisse de taux. Si le mois de juin semble faire l'objet d'un consensus au sein du Conseil des gouverneurs, le calendrier et l'ampleur des futures baisses de taux restent ouverts. Nous nous attendons à un discours mesuré, qui confirme la très forte probabilité d'une première baisse en juin et la présente comme une première étape vers la normalisation de la politique monétaire. Mais la BCE insistera probablement sur le fait que les futures baisses de taux ne sont pas acquises et qu'elles dépendront de l'évolution attendue de l'inflation.
Les attentes du marché sont extrêmement élevées, avec une probabilité de 98 % d'une baisse de 25 points de base en juin. Toutefois, si les commentaires de la BCE déçoivent les investisseurs, des tensions pourraient apparaître sur les marchés obligataires dans un contexte d'incertitude croissante quant au calendrier de la première baisse des taux de la Fed, avec une probabilité de 72 % d'une première baisse en juin.
Nous ne pensons pas que ce léger écart entre la BCE et la Fed doive gêner la BCE, qui devrait réaffirmer qu'elle prend ses décisions de manière autonome.
Peter Goves, responsable de la recherche sur la dette souveraine des marchés développés chez MFS IM
Nous ne nous attendons pas à ce que la BCE modifie ses taux d'intérêt cette semaine. Mme Lagarde n'aurait pu être plus claire sur le fait que le Conseil des gouverneurs attend davantage de données (en particulier sur les salaires, les bénéfices et le marché du travail) avant de s'engager dans un changement de politique monétaire. Selon nous, il s'agira donc d'une réunion "de réserve". Lors de la conférence des observateurs, Mme Lagarde a précisé que la BCE disposera de plus de données d'ici juin et que, si le scénario de base est confirmé (ce qui est largement le cas), le Conseil des gouverneurs pourrait rapidement commencer à réduire certaines de ses mesures de politique monétaire.
Il est donc probable que le débat sur le "tapering" prenne de l'ampleur, même si la BCE s'abstiendra de prendre un engagement formel en ce sens et maintiendra son approche fondée sur les données. Selon nous, la BCE pourrait réduire ses taux avant la Fed si les fondamentaux, sa fonction de réaction et l'objectif d'inflation le justifient. Il est presque certain que Mme Lagarde ne s'engagera pas sur une trajectoire précise des taux lorsque la BCE réexaminera sa position, mais nous pensons que des réductions multiples ne sont pas à exclure si les données le justifient.
Selon nous, la BCE devrait réduire le taux de refinancement de 25 points de base en juin. Cette conviction repose sur les faibles perspectives de croissance (avec une croissance inférieure au potentiel pour de nombreux trimestres à venir), le déclin de l'inflation, une transmission qui fait sentir ses effets sur l'économie et une communication claire de la part de la BCE. Dans un contexte de conditions financières tendues et de refroidissement du marché du travail, une hausse inattendue des taux d'intérêt réels augmente le risque d'un resserrement excessif. Nous n'excluons donc pas un nouvel élargissement du spread UST-Bund.
Gilles Moëc, économiste en chef du Groupe AXA (EPA:AXAF) et responsable de la recherche d'AXA IM
Nous n'attendons pas de décision de la BCE cette semaine. Le mois dernier, Christine Lagarde a évoqué la possibilité d'une action en juin, mais le Conseil des gouverneurs aura l'occasion ce jeudi de rendre compte de l'"évaluation intérimaire" de la situation macroéconomique dans la zone euro. La décision de la banque centrale de réviser à la baisse ses prévisions d'inflation semble être justifiée par les données de l'IPC de mars : la désinflation continue d'être plus rapide que les attentes du marché. Cependant, la résistance des prix des services reste un point sensible. Le message des enquêtes sur le comportement futur des entreprises en matière de prix et la demande intérieure toujours anémique sont néanmoins rassurants quant à l'ampleur des pressions inflationnistes encore existantes. Il semble que l'économie européenne se stabilise pour l'instant en vitesse lente. Il est vrai que la dynamique des salaires nominaux, contrairement au ralentissement de l'inflation nominale, soutiendra le pouvoir d'achat, mais les vents contraires fiscaux s'accumulent avant que l'impact du resserrement monétaire ne s'estompe. Nous continuons à penser que la BCE n'attendra pas que l'inflation converge pleinement vers 2 % et qu'elle procédera à une première baisse de taux en juin, même si la Fed décide d'attendre.
Giorgio Broggi, analyste quantitatif chez Moneyfarm
Au cours des derniers mois, les marchés ont constamment réduit le nombre de baisses de taux attendues, au point de tabler sur un nombre inférieur à celui promis par la Fed, sans que cela n'affecte le moins du monde le rallye boursier. Toutefois, il sera essentiel que les données sur l'inflation américaine publiées aujourd'hui ne soient pas trop négatives et que les craintes inflationnistes restent contenues.
Dans ce climat plus prudent concernant l'inflation et la politique monétaire américaine, il sera extrêmement intéressant d'analyser le discours de Lagarde lors de la conférence de la BCE. Bien qu'il soit presque certain qu'il n'y aura pas de réduction lors de cette réunion, ce discours pourrait étayer les craintes que la Banque centrale européenne ignore les signaux positifs provenant de l'inflation sur le Vieux Continent et préfère, timidement, attendre que la Fed réduise d'abord ses taux d'intérêt. Si tel était le cas, ce serait à mon avis une grave erreur, surtout si le scénario de la reflation commençait à se matérialiser plus clairement aux États-Unis.
Alexander Batten, gestionnaire de portefeuille à revenu fixe chez Columbia Threadneedle Investments
La réunion de la BCE en avril devrait être calme et préparer la réunion de juin. En fait, l'idée s'est récemment répandue que le cycle de réduction commencera en juin, car la banque centrale aura recueilli suffisamment d'informations sur les salaires d'ici là, plutôt qu'une série de bonnes nouvelles sur l'évolution des salaires pour justifier le début d'un cycle de réduction. Cette distinction suggère qu'il y a une forte probabilité que la BCE maintienne son taux d'intérêt en juin. Des hausses de 25 points de base sont largement privilégiées, mais la présence d'une dynamique de croissance atone dans la zone euro, contrairement à d'autres régions, justifierait des baisses répétées.
Tomasz Wieladek, économiste européen en chef, T. Rowe Price
L'économie allemande, le moteur manufacturier de l'Europe, reste très faible au premier trimestre. Le secteur manufacturier français présente un tableau similaire. Les performances économiques de ces deux économies seront faibles cette année en raison de la consolidation fiscale.
En revanche, l'Italie et l'Espagne affichent de meilleurs résultats grâce à la vigueur du secteur des services. La BCE devra tenir compte de tous ces facteurs. Toutefois, par le passé, les cycles allemand et français ont entraîné les autres pays. Par conséquent, nous pensons que les données d'aujourd'hui renforcent les preuves que la BCE pourrait entamer un cycle de réduction en juin et procéder à 4 ou 5 réductions cette année.