Soupçonnés d'avoir eu des liens qui ont pu fausser l'arbitrage rendu en 2008 en faveur de Bernard Tapie dans son litige avec le Crédit Lyonnais sur la vente d'Adidas, le juge arbitre Pierre Estoup et l'avocat de l'homme d'affaires, Me Maurice Lantourne, ont été placés en garde à vue par les enquêteurs.
Ces actes d'enquête interviennent quatre jours après le placement vendredi sous statut de témoin assisté de l'ex-ministre de l'Economie, Christine Lagarde, qui avait décidé de cet arbitrage.
M. Estoup, 86 ans, ancien président de la cour d'appel de Versailles, a été placé en garde à vue lundi et Me Lantourne l'a été mardi matin, à la demande des trois juges d'instruction qui enquêtent depuis septembre 2012 dans le volet non ministériel de cette affaire.
Le tribunal arbitral, instance privée composée de trois éminents juristes, M. Estoup, Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, et l'avocat Jean-Denis Bredin, avait rendu une décision favorable à M. Tapie, lui permettant de toucher 403 millions d'euros.
Les enquêteurs soupçonnent M. Estoup d'avoir eu des liens professionnels anciens avec Me Lantourne, avocat de M. Tapie. L'ex-magistrat n'en avait pas fait état au moment de l'arbitrage en faveur de l'homme d'affaires.
Mais, aux yeux du député centriste Charles de Courson, adversaire acharné d'un recours à l'arbitrage dans cette affaire, ce défaut d'information relève d'un conflit d'intérêts susceptible de remettre en cause la légalité de la procédure.
"J'ai eu trois arbitrages avec M. Estoup dans les dix ans qui ont précédé" l'arbitrage Adidas, avait récemment indiqué à l'AFP Me Lantourne, pour lequel cette question est "un faux problème".
De nombreuses perquisitions ont été réalisées dans cette enquête, notamment aux domiciles des trois juges arbitres, de M. Tapie et au cabinet de Me Lantourne.
Selon L'Express, lors d'une nouvelle perquisition le 14 mai à l'un des domiciles de M. Estoup, les policiers ont en outre saisi un livre écrit par M. Tapie et dédicacé, en juin 1998, à M. Estoup, auquel il adresse "toute (s)on affection". M. Tapie, qui avait affirmé ne pas connaître M. Estoup, a déclaré mardi sur BFM TV l'avoir "peut-être rencontré fortuitement et sans suite dans le cadre de (sa) vie publique".
Ce disant "serein", il a précisé n'avoir pas, à cette heure-ci, été convoqué.
Éventuel recours
Parallèlement, une procédure a été engagée devant la Cour de Justice de la République (CJR) contre Mme Lagarde, pour "complicité de faux et de détournement de fonds publics".
Il lui est reproché d'avoir recouru à cet arbitrage privé alors qu'il s'agissait de deniers publics, d'avoir eu connaissance de la partialité de certains juges arbitres et de ne pas avoir exercé de recours contre cet arbitrage controversé.
Mme Lagarde a toujours soutenu avoir pris elle-même la décision sans avoir reçu d'ordre de l'Elysée. Mais, selon L'Express, la CJR a eu reçu copie de certains agendas de Nicolas Sarkozy montrant que ce dernier avait reçu M. Tapie à de nombreuses reprises en 2007-2008.
L'homme d'affaires avait soutenu M. Sarkozy lors de la présidentielle de 2007.
Prié vendredi dernier de dire si l'ex-ministre agirait aujourd'hui de la même façon qu'en 2007-08, l'avocat de Mme Lagarde, Me Yves Repiquet, avait répondu qu'"à la lumière des éléments dont elle dispose désormais", elle n'aurait "pas forcément" pris la même décision.
Après les "explications" que Mme Lagarde a indiqué avoir fournies à la CJR, les enquêteurs cherchent à connaître la chaîne de transmission des informations reçues à l'époque par la ministre, analyse une source proche du dossier.
Le ministre de l'Économie, Pierre Moscovici, a de son côté annoncé que le gouvernement envisageait un éventuel recours contre la décision d'arbitrage.
Estimant pour sa part avoir été "victime", s'il est démontré "qu'il y a eu fraude" ou "une magouille", l'ex-directeur de cabinet de Mme Lagarde à Bercy et actuel PDG d'Orange, Stéphane Richard, a jugé "légitime qu'il y ait un recours", auquel il s'associerait.
Déjà entendu par la CJR et la brigade financière dans le cadre de l'enquête préliminaire, M. Richard est de nouveau convoqué le 10 juin pour témoigner devant la police judiciaire, a indiqué à l'AFP son avocat, Me Jean-Etienne Giamerchi, confirmant une information de Médiapart.
Joint par l'AFP, Me Bredin n'a pas souhaité faire de commentaire. M. Mazeaud était quant à lui injoignable mardi.