Les récentes mobilisations de chauffeurs VTC mécontents des tarifs d'Uber montrent qu'ils ne sont "pas si indépendants que cela", dans un régime "proche du salariat" mais sans ses protections, selon Patrick Thiébart, avocat associé au cabinet d'affaires Jeantet, pour qui il est urgent de "redéfinir le salariat".
QUESTION: Ce soulèvement chez Uber, est-ce l'arroseur arrosé?
RÉPONSE: D'une certaine façon oui et je fais partie de ceux qui avaient alerté contre un certain nombre de dérives. La nouvelle économie a plein d'avantages, mais elle crée une nouvelle forme de précarité. Pour compenser la perte de rémunération résultant de la baisse des prix imposée par Uber, ces chauffeurs vont devoir travailler davantage alors qu'ils ne sont pas soumis à la réglementation sur le temps de travail dont bénéficient les salariés.
On ne peut pas imposer à un salarié un changement de rémunération sans son acceptation. Là, parce qu'ils ne sont pas salariés, on ne leur demande pas leur avis, ils sont dans une situation particulièrement désavantageuse.
Leur situation se rapproche du salariat, mais sans ses avantages: conditions de travail, Smic, convention collective... Ils peuvent se regrouper en syndicat professionnel, ce qu'ils sont en train de faire. Mais pour l'heure, leur mouvement ressemble plus à un groupe de pression ou à un comité de lutte.
Ils ne sont pas si indépendants que cela puisque c'est Uber qui fixe les prix de façon unilatérale. Laisser des plateformes électroniques dire: +il n'est pas mon salarié donc je fais ce que je veux sur les prix+, c'est trop facile. Il est urgent de clarifier ce qu'est un salarié et ce qu'est un indépendant.
Q: Qu'est-ce qui définit actuellement le salariat?
R: La jurisprudence de la Cour de cassation définit le salarié comme celui qui exerce une activité sous l'autorité d'un employeur en droit de sanctionner les manquements de son subordonné.
Cette définition par un lien de subordination juridique n'est plus à jour, elle fleure bon la société industrielle du 20e siècle. Or la relation employeur-salarié a évolué. On est davantage dans une société de services et certains employeurs ne sont plus forcément maîtres des outils de production. La plus grande société de taxis du monde, Uber, n'est propriétaire d'aucun taxi. Il en va de même pour AirBnB.
Les employeurs de la nouvelle économie ont besoin de sécurité juridique sur le statut de leurs collaborateurs, ils veulent savoir si ces collaborateurs sont susceptibles de se retourner contre eux. Aux États-Unis, certains l'ont fait déjà, la justice a requalifié des prestations de service en contrats de travail.
Q: Comment clarifier le droit?
R: Il faut redéfinir le salariat. Le Department of Labour américain a posé en juillet 2015 des lignes directrices, affirmant à juste titre que la notion de salariat n'est plus seulement basée sur un lien de subordination mais aussi sur une dépendance économique. Quand on n'a qu'un seul client, c'est un indice fort de salariat. L'administration Obama retient aussi comme critère la similitude d'activités.
Le rapport de Bruno Mettling (remis au gouvernement mi-septembre) donne des pistes. Une possibilité serait de poser une barrière de revenu: au-delà d'un certain chiffre d'affaires avec un client unique, le collaborateur aurait la qualité de salarié.
Le Premier ministre a aussi récemment chargé le député Pascal Terrasse de faire des propositions pour limiter les abus dans l'économie collaborative. Tout cela va dans le bon sens.
(Propos recueillis par Sylvie HUSSON)