Faut-il baisser les allocations chômage, voire les rendre dégressives, pour mieux inciter au retour à l'emploi ? Plusieurs experts mettent en garde contre une diminution des droits qui risquerait d'accroître la pauvreté, sans impact substantiel sur la dette du régime.
La question, récurrente, de l'impact de la générosité des allocations a ressurgi dans le débat public sur fond de chômage record et à l'approche des négociations sur une nouvelle convention Unédic, censées trouver des solutions pour réduire la dette du régime.
François Hollande l'a lui-même souligné en janvier devant les acteurs économiques et sociaux: en France, la durée d'indemnisation "est la plus longue d'Europe", tandis que la durée de formation des chômeurs est "la plus courte". "C'est ce qu'il faut changer", a-t-il lancé, appelant les partenaires sociaux à "tout faire pour que le retour vers l'emploi soit encouragé".
L'idée de la dégressivité des indemnisations est rapidement revenue sur la table, le gouvernement, ainsi qu'une partie du patronat, estimant que "toutes les pistes devaient être étudiées". La ministre du Travail, Myriam El Khomri, a toutefois reconnu qu'un tel dispositif, mis en œuvre de 1992 à 2001, avait ralenti le retour à l'emploi, comme l'ont montré des études.
"Dans la conjoncture fragile actuelle, une réduction des allocations (y compris sous forme de dégressivité, NDLR) inciterait les plus qualifiés à prendre des emplois moins qualifiés, rejetant les moins qualifiées dans un chômage plus long", estime Philippe Waechter, directeur de la recherche économique chez Natixis.
La personne peu qualifiée, qui basculera plus vite en fin de droits et donc dans les mécanismes de solidarité (ASS, RSA), "s'appauvrira avant même d'avoir l'espoir de trouver un emploi, sans amélioration du marché du travail pour autant", ajoute-t-il. Selon l'économiste, la durée élevée du chômage "n'a rien à voir avec le montant des allocations".
Baisser les allocations "ne créera pas d'emploi", prévient Bruno Coquet, spécialiste de l'assurance chômage. "Quand la dégressivité fut instaurée, les droits étaient plus longs. Si demain on la réintroduit avec les droits actuels, cela va accentuer la pression sur ceux qui sont les plus proches du marché du travail pour accepter un travail inférieur à leurs compétences, en dessous de leur productivité. Et donc diminuer la croissance potentielle", analyse cet expert associé à l'Institut de l'entreprise.
- Les allocations "pas responsables du déficit" -
L'assurance chômage française est généreuse, oui, "mais parce que le risque de chômage est élevé", fait-il valoir.
Pour Claire Vivès, du Centre d'études pour l'emploi, le débat sur la générosité des allocations sous-tend "une fausse représentation d'un chômeur qui peut refuser des emplois parce qu'il vit bien de ses allocations". Alors qu'"un demandeur d'emploi sur deux n'est pas indemnisé", que "15% touchent moins de 500 euros, et seulement moins de 6% perçoivent plus de 1.500 euros par mois", rappelle la chercheuse.
Nabil, conseiller dans une agence Pôle emploi à Paris, en témoigne: "les demandeurs d'emploi ne viennent pas en se disant +je suis tranquille pendant deux ans+. La plupart retrouvent un emploi sans avoir consommé leur capital".
Car les droits rechargeables, dispositif phare de l'actuelle convention d'assurance chômage qui permet aux chômeurs de gagner de nouveaux droits quand ils retravaillent, jouent un rôle incitatif pour le retour à l'emploi.
Quant à l'impact financier d'une dégressivité sur les caisses de l'Unédic, il serait limité: au maximum un milliard d'euros, selon des évaluations, alors que le régime enregistre 25,8 milliards d'euros de dettes.
"Structurellement, ce ne sont pas les droits qui créent le trou", tranche Bruno Coquet, qui ironise: "quand le sage montre le déficit, l'imbécile regarde la générosité".
Il pointe notamment les dépenses non assurantielles de l'Unédic comme "le financement de Pôle emploi (10%)", et les contrats d'intérim, dispensés des surcotisations à l'assurance chômage.
Dans une tribune au Monde, une dizaine d'économistes estiment que réduire la générosité "mérite réflexion, mais ne saurait être suffisant". Et d'insister, eux aussi, sur le le coût "exorbitant de l'instabilité des emplois" en CDD ou en intérim.