Le Zimbabwe a décidé jeudi de lancer une nouvelle monnaie qui ne dit pas son nom indexée sur le dollar pour tenter de remédier à son manque criant de liquidités, suscitant aussitôt les craintes d'un retour à l'hyperinflation dans un pays déjà en pleine crise.
Le gouvernement de Harare, dirigé d'une main de fer par Robert Mugabe depuis 1980, a adopté le dollar américain et le rand sud-africain en 2009, après une hausse des prix vertigineuse qui a atteint jusqu'à 500 milliards pour cent et fait perdre toute sa valeur au dollar zimbabwéen.
Mais il se trouve désormais à court de dollars. Nombre de distributeurs d'argent sont hors service et la population contrainte de faire la queue pendant des heures à la banque pour obtenir du liquide, dont les retraits sont strictement limités.
L'Etat peine à verser à temps les salaires de ses agents, qui engloutissent 96,8% de son budget. Il avait annoncé la semaine dernière la suppression de 25.000 postes de fonctionnaires, avant finalement de faire marche arrière.
Pour desserrer cet étau financier, la Banque centrale a annoncé jeudi l'introduction "d'ici fin octobre" de "billets d'obligation". Ils "serviront à se protéger contre ceux qui sortent les dollars américains du pays", a annoncé son gouverneur, John Mangudya.
"D'ici la fin de l'année (...) 75 millions de dollars seront en circulation sous forme de +billets d'obligation+", a-t-il avancé.
Attendue depuis des mois, cette décision intervient alors que le pays est secoué depuis plusieurs semaines par une vague de manifestations contre Robert Mugabe.
La question des "billets d'obligation" cristallise la colère des frondeurs, à bout après plus d'une dizaine d'années de crise économique.
Ces billets pourront être utilisés pour payer les achats au Zimbabwe et se présenteront, dans l'immédiat, sous la forme de coupures de 2 et 5.
Des "pièces d'obligation", qui ressemblent à des pièces ordinaires avec une valeur indiquée sur une face, sont déjà en service depuis 2014 pour les dépenses de la vie quotidienne, comme les courses de taxi ou les achats au supermarché.
- "Pas de confiance" -
"Il est essentiel de souligner que l'introduction des billets d'obligation ne constitue en aucun cas un retour qui ne dit pas son nom au dollar zimbabwéen", a tenu à préciser M. Mangudya.
Mais ses propos ne devraient pas suffire à rassurer les milieux économiques et la population, qui craignent le retour aux temps maudits de l'hyperinflation dans un pays financièrement à genoux.
La majorité des Zimbabwéens survivent de petits boulots. Environ 80% de la population active travaille dans le secteur informel.
Dans les années 2000, les Zimbabwéens se déplaçaient avec des sacs, voire des brouettes de billets pour faire leurs courses.
L'introduction de ces "billets d'obligation" ne "suffira pas à faire la différence", a déclaré à l'AFP l'analyste John Robertson.
"Le gouvernement doit s'atteler à introduire des politiques qui permettent de rétablir la confiance", a-t-il prévenu. "Il n'y a pas de d'argent car il n'y a pas d'investissement. Il n'y a pas d'investissement car il n'y a pas de confiance et on ne peut pas résoudre cela en imprimant plus de billets".
Les Zimbabwéens ne cachaient pas jeudi leur inquiétude. "Imaginez que des clients me paient en +billets d'obligation+. Comment je vais refaire mon stock, alors que je m'approvisionne essentiellement à l'étranger ?", a réagi sous couvert d'anonymat un vendeur d'appareils électroniques.
L'annonce de la Banque centrale intervient à deux jours de manifestations programmées dans tout le pays par l'opposition. Les anti-Mugabe les ont maintenues en dépit d'une interdiction de rassemblement à Harare.
Robert Mugabe, 92 ans, le plus vieux chef de l'Etat en exercice au monde, a promis de réprimer les manifestants. Malgré ce climat délétère, il compte se représenter à la fonction suprême en 2018.
"Je pense qu'il n'a jamais été sous une telle pression. Son parti n'a jamais aussi été divisé et la situation économique, selon certains, est pire qu'au moment de l'hyperinflation", a souligné Piers Pigou d'International Crisis Group (ICG).
Les nouveaux billets d'obligation, imprimés en Allemagne, seront financés à hauteur de 200 millions de dollars par la banque panafricaine Afreximbank (Africa Export-Import Bank).