par Daren Butler et Orhan Coskun
ISTANBUL/ANKARA (Reuters) - Les forces turques ont poursuivi jeudi leur offensive sur les territoires syriens tenus par les miliciens kurdes, poussant la population à fuir par milliers.
La Turquie, membre de l'Otan, veut créer une "zone de sécurité" dans la région frontalière pour en écarter les miliciens kurdes et y transférer plusieurs millions de Syriens réfugiés sur son territoire, mais les grandes puissances craignent que l’opération ne relance le conflit.
Selon Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères, les forces turques n'ont pas l'intention de s'enfoncer au-delà de 30 kilomètres dans le territoire syrien.
Les grandes puissances ont répété jeudi leur préoccupation devant le risque de voir cette opération permettre aux djihadistes faits prisonniers par les rebelles kurdes de s'évader et de reprendre leur guérilla ou même de regagner leurs pays d'origine, pour les étrangers.
L'offensive a débuté moins de trois jours après la décision de Donald Trump de redéployer une partie du millier de militaires américains présents à la frontière turco-syrienne.
"Trois choix s'offrent à nous: envoyer des milliers de troupes et l'emporter militairement, frapper durement la Turquie financièrement et avec des sanctions, ou faire la médiation entre la Turquie et les Kurdes", a écrit Donald Trump sur Twitter (NYSE:TWTR) jeudi.
"J'espère que nous pourrons faire une médiation", a-t-il déclaré plus tard devant des journalistes.
Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont joué un rôle décisif dans les combats contre l'Etat islamique. Ils retiennent des milliers de djihadistes et des dizaines de milliers de leurs proches qui sont en détention.
Le ministère turc de la Défense a fait état de 228 morts parmi les miliciens kurdes depuis le début de l'offensive. Selon l'OSDH, 23 membres des FDS et six combattants pro-turcs ont péri.
Les rebelles des FDS, mouvement dominé par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), ont indiqué pour leur part que les frappes turques ont fait neuf morts parmi les civils.
Un haut responsable turc a déclaré que les forces armées avaient bombardé des dépôts de munitions et d'armes, des tunnels et des bases militaires.
Selon l'International Rescue Committee, 64.000 personnes ont fui depuis le lancement de l'opération et Ras al Aïn et Darbasia sont désormais vidées de leur population.
Selon l'OSDH, les forces turques ont capturé deux villages près de Ras al Aïn et cinq près de la ville de Tell Abyad.
MENACE DE MESURES CONTRE ANKARA
Ankara considère les YPG comme une organisation terroriste en raison de leurs liens avec les militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a menacé de laisser les 3,6 millions de Syriens réfugiés dans son pays partir vers l'Union européenne si ses Etats membres considèrent la présence de l'armée turque en Syrie comme une occupation. Les "28" avaient réclamé la veille l'arrêt de l'offensive.
Une prison de Kamichli où sont détenus de nombreux membres de l'EI d'une soixantaine de nationalités a notamment été touchée par des bombardements turcs, ont fait savoir les FDS.
"Ces attaques de prisons abritant des terroristes de Daech conduiront à une catastrophe dont le monde pourrait ne pas être en mesure de gérer les conséquences à l'avenir", écrivent-elles dans un communiqué.
Le Conseil de sécurité de l'Onu s'est réuni dans la journée à la demande de ses membres européens (Grande-Bretagne, France, Allemagne, Belgique et Pologne). A l'issue de cette réunion, l'ambassadeur des Etats-Unis aux Nations unies a déclaré que la Turquie pourrait faire face à certaines "conséquences" si elle ne se conformait pas à son engagement de protéger les populations vulnérables et à contenir les djihadistes de l'EI.
Plus tard, un haut responsable du département d'Etat a déclaré que les Etats-Unis prendraient des mesures punitives contre la Turquie si elle entreprenait des actions "inhumaines et disproportionnées" contre des civils dans son offensive.
La France réclame quant à elle l'organisation "de toute urgence" d'une réunion des pays membres de la coalition internationale formée pour combattre le groupe Etat islamique, a déclaré jeudi son ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian.
(avec les bureaux de Reuters; Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Jean-Stéphane Brosse, Nicolas Delame, Henri-Pierre André et Arthur Connan)