par Geert De Clercq
PARIS (Reuters) - Les réductions d'effectifs et les mesures d'économies compromettent la sûreté du site de recyclage de combustibles nucléaires usés d' Areva (PA:AREVA) à La Hague (Manche), selon des mises en garde syndicales diffusées dans un document interne.
Dans une note non signée et non datée du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de La Hague, obtenue par Reuters, les syndicats estiment que la direction du site "au travers de sa course effrénée aux économies met à mal (le) système de défenses en profondeur" censé prévenir des difficultés techniques et des erreurs humaines.
L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a indiqué avoir reçu une copie de cette note et avoir en conséquence procédé à une inspection du site qui a conclu à des niveaux de sûreté acceptables.
L'ASN a toutefois confirmé un incident, mis en avant par les syndicats, qui a abouti à un mauvais conditionnement de plusieurs conteneurs lors du processus de vitrification consistant à incorporer les déchets nucléaires dans du verre.
"Nous lançons (...) un véritable message d'alerte : jusqu'à encore récemment, nous recherchions l'excellence en matière de sûreté et de sécurité, maintenant notre secteur nucléaire cherche simplement à être bon, ce qui est un non-sens vis-à-vis de notre industrie qui n'a pas le droit à l'erreur", a écrit le CHSCT de La Hague.
Hélène Héron, responsable de l'antenne de l'ASN de Caen (Calvados) qui supervise La Hague, a précisé à Reuters que le gendarme du nucléaire avait inspecté le site et rencontré sa direction mi-décembre après avoir reçu la note en novembre.
"Effectivement il y a eu des réorganisations importantes sur le site, (mais) on n'a pas observé (...) de dégradation de la sûreté", a-t-elle dit, ajoutant que l'ASN n'avait pas non plus constaté de problèmes d'effectifs.
Areva emploie près de 4.000 personnes sur son site de La Hague. Dans le cadre d'un plan de départ volontaire lancé en 2015, 346 postes y ont été supprimés.
AREVA ASSURE DU "STRICT RESPECT DES RÈGLES"
Une porte-parole du groupe a indiqué que le site mettait en oeuvre depuis 2015 un plan de transformation majeur afin d'améliorer sa compétitivité tout en garantissant le plus haut niveau de sûreté et qu'Areva continuait d'investir 200 millions d'euros "pour assurer la pérennité de ses activités et garantir la sûreté de ses installations" de La Hague.
"L'exploitation du site Areva La Hague se fait dans le strict respect des règles de sûreté et le concept de défense en profondeur n'est absolument pas remis en cause", a-t-elle dit.
Les syndicats jugent pour leur part que "seule la performance économique guide la façon dont est gérée l'usine" et dénoncent "un problème récurrent et généralisé de sous-effectif sur l'ensemble des postes de l'établissement".
Selon un membre de la CGT, qui n'a pas souhaité être nommé, l'usine a aujourd'hui la même production qu'il y a deux ans mais avec des effectifs réduits.
"Les salariés ont plus de mal à analyser les situations (...), ça augmente les risques", a-t-il dit.
La note du CHSCT dénonce en outre "de nombreux postes (...) avec un effectif respectant les minimas de sécurité (ou à peu près)", le recours à des personnels d'astreinte qui n'ont pas les compétences requises, ou encore le choix de compléter les effectifs par des personnels en formation.
Le document du CHSCT est très inhabituel pour le secteur nucléaire, dans lequel les syndicats sont plus proches des équipes de direction que dans la plupart des industries et ne sont pas enclins à critiquer la sûreté de leurs usines.
Toujours selon le CHSCT de La Hague, "le nombre de consultations de salariés vers la psychologue du travail a explosé" et "la totalité des médecins tire la sonnette d'alarme à propos de la santé mentale des salariés du site".
Areva a répondu à ces accusations en indiquant que les cadres de La Hague s'assuraient que toutes les unités du site étaient correctement pourvues en effectifs pour satisfaire aux critères de sûreté.
(Benjamin Mallet pour le service français, édité par Jean-Michel Bélot)