Les Argentins sont au bord de la crise des nerfs depuis l'adoption par le gouvernement de mesures draconiennes de contrôle des opérations de change, qui complique leur achat compulsif de dollars, devenu une passion nationale depuis la crise de 2001.
Les "caves", seuls endroits où l'on peut encore se procurer des dollars, prolifèrent à Buenos Aires, la capitale, mais le dollar "blue" (on appelle "bleu" en anglais le dollar du marché noir) y est bien plus cher: jusqu'à 6 pesos au lieu de 4,50 au cours officiel désormais inaccessible.
Les vendeurs ambulants du billet vert, appelés les "p'tits arbres" ("arbolitos"), qui faisaient autrefois partie du décor de la rue piétonne Florida, en plein centre, ont du mal à résister aux descentes des inspecteurs et à leurs chiens renifleurs de dollars.
"Le dollar est une maladie argentine!", s'exclame, ironique, l'économiste Miguel Kiguel, directeur de l'institut Econviews et consultant de la Banque interaméricaine du développement (BID) dans un entretien avec l'AFP.
Dans son bureau du 16e étage au coeur de la "City" de Buenos Aires, Kiguel explique que "la cause en est la longue instabilité - des décennies ! - pendant laquelle les gens se sont vu confisquer leur épargne en pesos ou en bons, ou même leurs comptes en dollars en 2001, lorsque le peso s'est effondré".
La fièvre du dollar est montée d'un cran à la fin de l'année dernière lorsque la présidente Cristina Kirchner a décidé de renforcer de manière radicale le contrôle des opérations de change et des importations afin de sauvegarder les 46 milliards de dollars (36,25 milliards d'euros) de réserves monétaires et les 10 milliards de dollars (7,88 milliards d'euros) d'excédent commercial.
"Moi je n'achète pas de dollars, mais on doit avoir la liberté de faire ce que l'on veut avec son argent", dit à l'AFP Augusto, tout en tapant sur son tambour lors d'un "cacerolazo" ("Coup de casserole") dans l'élégante avenue Santa Fe, dans le centre de la capitale.
La fièvre du dollar
Comme lui, quelque 4.000 manifestants de classe moyenne dénoncent régulièrement la corruption du gouvernement, l'insécurité et les contrôles sur l'achat de dollars. On voit des panneaux : "Avec mon argent, je fais ce que je veux !" ou "Je vais pouvoir épargner sans avoir à donner des explications !".
"L'épargnant ne sait plus où il va : il cherche des repères", explique à l'AFP la psychiatre Lia Rincon, de l'Université de Buenos Aires.
Ces dernières semaines, l'administration des impôts (AFP) n'autorise plus l'achat de dollars qu'en cas de voyage à l'étranger. Donc plus possible désormais d'en acheter pour épargner.
"Les gens vont devoir accepter qu'il est impossible de retourner à l'époque où le peso était accroché au dollar", dit Mario Rapoport, économiste à l'Institut d'études historiques, économiques et sociales, en référence aux années 1990.
En attendant, les gens vivent de plus en plus mal quand la presse dévoile les sommes en dollars que possèdent les membres du gouvernement.
Mme Kirchner, a dû elle-même annoncer à la télévision qu'elle échangerait son épargne en dollars en pesos. Selon la presse, elle disposait de 3 millions de dollars sur un compte.
Mais "pesifier" l'économie, largement dollarisée dans certains secteurs comme l'immobilier, pourrait avoir l'effet inverse à celui recherché. "On risque de relantir l'activité économique", prévient l'économiste Eduardo Curia.
Les prévisions de croissance sont à la baisse en Argentine, après des taux "à la chinoise" (8% en moyenne sauf en 2009 où le pays a été en récession) entre 2003 et 2011.
"Il y a désormais un risque de stagflation (inflation + récession)", selon M. Kiguel. "Au Chili ou au Brésil, on préfère des taux d'intérêt élevés : c'est le prix à payer pour avoir une monnaie plus forte".