L'échec de la fusion entre EADS et BAE Systems est une occasion manquée pour l'Europe de la défense, mais il ne signifie pas l'arrêt de la consolidation du secteur, rendu plus que jamais nécessaire par les restrictions budgétaires, soulignent les experts.
Le renoncement à cette fusion, qui aurait créé le numéro un mondial de l'aéronautique et de la défense devant l'américain Boeing, est avant tout un échec politique.
"Ce n'est pas un bon signe pour l'Europe de la défense car les trois principaux pays qui comptent n'ont pas réussi à s'entendre", estime Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Pour Jan Techau, directeur du Centre Carnegie Europe, cette fusion "aurait été une démonstration de l'ambition commune" de la France, de l'Allemagne et du Royaume-Uni en faveur d'une politique européenne de défense et de sécurité. Son échec "démontre le contraire (...) C'est un signe que les trois pays ne veulent pas vraiment travailler ensemble".
Jusqu'à présent, Paris, Berlin et Londres "s'étaient mis d'accord pour accompagner leur politique de défense avec une industrie européenne de l'armement". Avec l'échec de la fusion entre EADS et BAE, une grande occasion a été manquée", souligne Christian Mölling, expert à la Fondation allemande SWP.
Le président français François Hollande, qui a promis d'oeuvrer à la relance de cette Europe de la défense, a eu beau assurer que l'échec était une "décision des entreprises", les deux groupes ont bien capitulé face au désaccord des gouvernements, soulignent les analystes.
Les logiques nationales ont prévalu, chacun étant tenté de défendre, au-delà de sa souveraineté, son industrie et ses emplois dans la période de crise actuelle.
Les activités de défense d'EADS sont regroupées au sein de la filiale Cassidian, à forte connotation allemande et qui craignait de se retrouver marginalisée en cas d'absorption par BAE Systems.
Selon M. Maulny, si les Français étaient pour l'opération "par intérêt stratégique" et les Britanniques "parce qu'ils souhaitaient conserver la compétitivité de leur entreprise", l'Allemagne s'y est opposée "car l'Europe de la défense n'est pas une fin en soi" pour elle.
Pour autant, au moment où les budgets militaires ne cessent de diminuer sous la pression de la crise, l'idée de mutualiser les dépenses pour réduire les coûts, notamment en matière d'équipements, reste d'actualité.
L'Europe ne consacre plus que 1,6% de son PIB à sa défense contre 5% pour les Etats-Unis. En 2011, les dépenses militaires sont tombées dans l'UE à environ 180 milliards d'euros contre plus de 200 milliards il y a cinq ans.
"La pression poussant à une concentration dans l'industrie de l'armement va demeurer", estime M. Mölling. "Nous avons toujours trop de surproduction, des installations industrielles trop grandes qui ne produisent pas assez, ou qui doivent massivement exporter. Le secteur va forcément devoir se restructurer".
Pour Edward Hunt, consultant au sein du centre de réflexion sur la défense IHS Jane's, "une fusion aurait permis d'accroître l'intégration européenne et de l'échange de services, mais ce processus déjà engagé devrait continuer, dans le souci de réduire les coûts".
"Ce que nous pouvons espérer, c'est que l'affaire EADS/BAE va entraîner une prise de conscience, et que d'autres acteurs seront encouragés à se rapprocher, notamment dans les secteurs les plus fragmentés comme la défense terrestre ou maritime", avance sous couvert de l'anonymat un responsable impliqué dans les dossiers de la défense européenne.