Brillante étudiante malgré un lourd handicap, Elodie a dû remuer ciel et terre pour préserver son autonomie et se loger à Paris, où elle boucle un Master d'affaires publiques à Sciences Po. Son cas illustre les failles d'un système.
Originaire d'Henvic (Finistère nord), Elodie Le Saout, 21 ans, fier regard souligné d'un épais trait de khôl et longue chevelure de jais, se bat avec le sourire. "Mais beaucoup se découragent", regrette-t-elle, "ils abandonnent la voie qui leur plaît si cela implique de s'éloigner du domicile des parents."
Le nombre d'étudiants handicapés inscrits à l'université augmente de 15% chaque année depuis 5 ans car "l'Etat a favorisé leur scolarisation", se félicite Marie-Pierre Toubhans, coordinatrice du réseau Droit au savoir.
A la rentrée 2015, ils étaient 23.257 dans l'enseignement supérieur public, soit trois fois plus qu'en 2005, et 71% étaient accompagnés - mais ils se raréfient au fil du cursus universitaire.
Si "le logement est une question épineuse pour tous les étudiants, il l'est d'autant plus pour ceux en situation de handicap", relève Mme Toubhans.
Atteinte d'une myopathie, Elodie vit en fauteuil roulant avec l'aide constante d'auxiliaires de vie. Boursière, elle peut mener ses études grâce à la prise en charge par l'Etat d'un accompagnement jusque là assuré par sa mère, au prix de 18 ans d'interruption de carrière.
En cherchant à se loger dans les 11 villes où elle passe le concours de Sciences Po, Elodie réalise toutefois que "chaque académie, chaque Crous (Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires), chaque Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) a ses propres règles".
"Les réponses étaient alambiquées, parfois délirantes", se rappelle-t-elle: Rennes invoque ainsi un refus des assurances en cas d'incendie, si elle n'est pas autonome... or elle est accompagnée 24h/24.
"La loi dit que vous devez avoir accès à l'éducation mais tout dépend de l'existence de solutions d'accompagnement locales", dit-elle.
- 'Dédale' -
Face à des besoins "très différents d'un jeune à l'autre" et des territoires qui "n'ont pas toute la palette des réponses", il faut "rééquilibrer l'offre", estime Mme Toubhans.
Au Cnous, qui pilote les 28 Crous du pays, Jean-Paul Roumegas, conseiller à l'international et au mécénat, voudrait mieux faire connaître les dispositifs d'accompagnement afin que "personne ne renonce aux études pour des questions d'accessibilité". Car pour l'heure, "c'est un peu un dédale".
En février, un site internet recensera les logements gérés par les Crous qui, comme les universités, le conseil départemental ou les services sociaux et médicaux, "travaillent trop souvent en silos" sans réelle coordination, regrette Mme Toubhans. Y afficher les démarches à accomplir par l'étudiant handicapé n'est pas encore décidé.
L'offre de logements adaptés est pourtant "deux fois supérieure à la demande" selon M. Roumegas, car on a construit des bâtiments entiers de logements PMR (adaptés aux personnes à mobilité réduite) après la loi handicap du 11 février 2005, qui fixait l'échéance -repoussée depuis- du 1er janvier 2015 pour l'accessibilité des lieux et transports publics.
Sur 28 Crous, 18 ont "pratiquement atteint" les objectifs d'accessibilité et "10 le feront en 2019", précise M. Roumegas. Mais en 2012, seuls 15% des 3.000 logements adaptés du Cnous étaient occupés par des handicapés.
"Il est très difficile de remplir ces logements car les étudiants handicapés ont beaucoup de mal à suivre des études à Paris", constate Muriel Seïté, cheffe du service social du Crous de la capitale. Car les transports en commun, les services de proximité, les trottoirs et la plupart des bâtiments à étages y sont peu accessibles.
Chaque jour, l'aller/retour à Sciences po prend 3 heures à Elodie.
En 2e année de Master à Reims, elle a vécu dans un logement éloigné du campus et mal desservi. Après avoir roulé sur des pavés pendant six mois, son fauteuil roulant s'est cassé.
Elle a toutefois refusé une place dans un internat SAVS (Service d'accompagnement à la vie sociale) qui ne répondait ni à ses besoins - les auxiliaires de vie y étaient mutualisés - ni à son souhait de "vie autonome".
- Exigences exorbitantes -
Aujourd'hui, dans le cadre des obligations fixées par la loi de 2005, des entreprises partenaires aident les résidences universitaires à s'adapter au handicap lourd.
Et on trouve sur certains campus, comme Nanterre ou Grenoble et bientôt Nancy, Nice ou Saclay, des résidences universitaires aux logements très domotisés et au fort accompagnement médical.
Au printemps 2017 le combat d'Elodie a repris, pour sa dernière année de Master à Paris. Nouveaux refus: le Crous de la capitale ne prend en charge que "les étudiants autonomes" et la renvoie vers Cachan (Val-de-Marne) et Nanterre (Hauts-de-Seine) pour qui elle "ne correspond pas aux critères".
"Ce genre de réponses débiles ne se justifie aucunement" s'exaspère Elodie. "J'en ai vu d'autres mais moralement c'est dur."
Au Crous de Paris, Mme Seïté explique: "Nous n'avons pas de logements doubles permettant d'accueillir un auxiliaire de vie. Nous ne savons pas faire, ce n'est pas notre vocation".
Les agences immobilières et résidences étudiantes privées comme Campuséa exigent quant à elles des garants aux revenus atteignant 4 ou 5, voire 9 fois le montant du loyer.
Après une pétition sur Facebook (NASDAQ:FB) lancée par ses camarades, Elodie a sollicité la Ville de Paris et finalement obtenu un appartement HLM... vide depuis trois ans.
"L'offre et la demande ont du mal à se rencontrer" constate, perplexe, Ian Brossat, adjoint PCF au Logement d'Anne Hidalgo. "Ces appartements repassent deux ou trois fois en commission d'attribution: les personnes les ont refusés."
Le loyer de 1.100 euros engloutit l'Allocation handicapé, l'Aide personnalisée au logement et la bourse d'Elodie... mais elle est indépendante.
"Tout cela, je le fais pour travailler un jour, rendre à la société ce qu'elle m'a donné" dit-elle. "Payer des impôts, être une citoyenne comme les autres."