L'ampleur de la traque aux évadés fiscaux et à ceux qui les ont aidés, menée par les Etats-Unis, inquiète certains cadres et employés des banques suisses, qui n'osent plus quitter le pays de peur d'être rattrapés par la justice américaine.
"Ils sont environ un millier (de banquiers suisses et d'autres qui ont travaillé directement avec des clients américains), qui craignent de voyager aux Etats-Unis ou même de quitter la Suisse", estime Martin Naville, le président de la Chambre de commerce Suisse-Etats-Unis.
L'avocat d'affaires Douglas Hornung partage cette estimation, soulignant que ceux qui travaillaient dans ces divisions des banques suisses "même à des niveaux subalternes, ont probablement peur de quitter la Suisse".
Les banques suisses sont soupçonnées d'avoir reçu des dizaines de milliards de dollars non déclarés de citoyens américains et certaines font aujourd'hui l'objet d'enquêtes de la justice américaine, même si maintenant elles refusent tout argent non déclaré au fisc.
Pour régler ce contentieux, la Suisse a récemment conclu un accord avec Washington qui met de facto fin à la longue tradition du secret bancaire, permettant aux banques de transmettre des informations sur les comptes détenus par des citoyens américains.
Beaucoup plus de données sur les personnes qui ont permis d'ouvrir ces comptes et de les gérer seront bientôt disponibles, permettant à la justice américaine d'intensifier la chasse aux complices d'évasion fiscale.
Les Etats-Unis n'ont pas rendu publique la liste des personnes poursuivies mais 24 banquiers seraient déjà inculpés et d'autres pourraient sans le savoir se retrouver sur les listes de recherche d'Interpol.
Il y a une semaine, Raoul Weil, 54 ans, ancien dirigeant de la branche gestion de fortune d'UBS, la première banque suisse, a été arrêté en Italie suite à un mandat international. Il a été inculpé par un grand jury fédéral en 2008 pour son rôle dans la supervision de ce service rendu à des Américains.
Il est accusé d'avoir aidé avec d'autres à l'évasion fiscale de près de 20 milliards de dollars (15 milliards d'euros). Weil pensait probablement "qu'après toutes ces années les Etats-Unis ne le cherchaient plus et ne l'avaient pas inscrit sur les listes d'Interpol", remarque Douglas Hornung, "mais il avait tort". 'D'autres cadres de son niveau ne quittent pas la Suisse, ils ne le font pas".
Les banques suisses et leurs employés impliqués dans de telles transactions ont été avertis depuis plus d'un an et demi des risques de voyager mais l'arrestation de Weil va certainement accentuer les craintes de ces personnes, souligne l'avocat.
"Ils sont paranoïaques, et ce genre d'événements est vraiment inquiétant pour eux car personne ne peut leur garantir qu'ils ne risquent rien", affirme M. Hornung, indiquant avoir reçu avant les vacances plusieurs appels de banquiers inquiets de savoir s'ils pouvaient voyager ou non hors de Suisse.
Denise Chervet, secrétaire de l'Association suisse des employés de banques, relève cependant que "Weil n'est pas n'importe qui", estimant que les employés subalternes ont peu de soucis à se faire.
"Ce sont les employés qui se rendaient régulièrement aux Etats-Unis pour rencontrer des clients ou ceux qui géraient des fortunes non fiscalisées d'un montant très élevé, de plus d'un million de dollars, qui doivent être inquiets", a-t-elle déclaré à l'AFP.
Elle admet que l'association a mis en garde ceux qui peuvent craindre une inculpation, leur recommandant "de ne pas se rendre à l'étranger, en tout cas pas par avion et de ne pas aller dans les hôtels". Elle relève que cette inquiétude ne se limite pas aux gestionnaires de comptes d'Américains, elle concerne aussi ceux qui ont traité des avoirs non déclarés d'Allemands. "Pour l'Allemagne on sait qu'il y a certains employés qui font aussi attention", a affirmé Mme Chervet.
"Maintenant, je ne sors même plus de Zurich", a déclaré sous couvert d'anonymat au Matin Dimanche un banquier qui a découvert récemment que son nom avait été transmis aux autorités américaines.
Mais pour Martin Naville, qui a parlé à certains de ces banquiers, ils ne souffrent pas de paranoïa mais préfèrent appliquer le principe de précaution, "mieux vaut être à l'abri que désolé".