Un rude débat juridique sur la propriété intellectuelle attend le joaillier Van Cleef & Arpels après sa mise en examen en juin pour contrefaçon dans une enquête à Paris consécutive à la plainte d'un négociant en joaillerie.
François Le Goarant de Tromelin avait attaqué en 2011, assurant être le détenteur exclusif des droits sur une bague sertie de pierres précieuses, le modèle "Antoinette", qui aurait ainsi été baptisé en l'honneur de son épouse, Antonieta. Ce que conteste le joaillier qui revendique aussi la propriété sur les bijoux.
Selon la plainte dont l'AFP a eu copie, l'une des maisons les plus renommées de la place Vendôme à Paris, aurait "pris l'initiative de fabriquer ou de faire fabriquer et de diffuser directement lesdits modèles en fraude (des) droits" de M. Le Goarant. Des ventes que le plaignant dit avoir notamment constatées à Paris mais aussi au Japon.
Son argumentation a semblé retenir l'attention de la juge en charge du dossier: après avoir placé le joaillier sous le statut de témoin assisté, elle l'a mis en examen le 14 juin, selon une source judiciaire.
L'avocat du joaillier, Me Nicolas Huc-Morel, dénonce le "caractère infondé" de la plainte et "conteste fermement les accusations (...) pour de prétendus faits de contrefaçon sur d'anciens modèles de bijoux".
Il relève que M. Le Goarant a été par le passé, devant les juridictions civiles, "intégralement débouté de ses demandes face à van Cleef & Arpels, confirmant à juste titre la propriété de Van Cleef & Arpels sur ces bijoux et son droit de procéder à leur commercialisation".
L'avocat de M. Le Goarant, Me Joseph Breham, explique que de nouvelles pièces sont depuis apparues, accréditant le droit de propriété de son client sur une quarantaine de modèles dont la bague Antoinette.
"Cela fait des années que je me bats contre eux", se réjouit M. Le Goarant qui accuse le joaillier d'avoir changé plusieurs fois de version. "Parole d'avocat, lorsqu'un client adapte ses versions à chaque nouvelle révélation, il est souvent moins innocent qu'il ne le clame", ironise Me Breham.
Des maquettes dans un coffre
La bague de la discorde a été créée en 1983 par un Britannique, Jeremy Morris, qui quatre ans plus tard en cède les droits à une société, Istana, dont le directeur général est M. Le Goarant. Celui-ci assure en avoir acquis les droits en son nom propre en 1994.
Si Van Cleef & Arpels avait conclu un accord avec Istana dès 1987 pour proposer la bague à son catalogue, M. Le Goarant dit rester propriétaire des droits. A cette époque, il conserve la maquette de ses bijoux, dont celle d'Antoinette, dans le coffre du bureau parisien qu'il partage rue Lafayette avec un autre négociant, Robert Szumeraj, alias Super.
Mais les deux hommes se fâchent et, selon M. le Goarant, Super en profite pour faire main basse sur ses modèles et les proposer aux joailliers de Paris.
Dans une attestation aux enquêteurs, consultée par l'AFP, un concurrent de Van Cleef & Arpels explique avoir été "averti qu'un certain nombre de maquettes parmi les modèles exclusifs" que M. Le Goarant "nous avait lui-même vendus avaient été détournées par Monsieur Super".
Ce conflit entre MM. Le Goarant et Szumeraj trouvera un épilogue brutal en 1997 quand le second, dans un dossier distinct, est assassiné dans son bureau par un autre négociant avec qui il est également en différend.
Mais en 2008, M. Le Goarant se rend compte que Van Cleef & Arpels continue de vendre ses bagues, dont le stock est épuisé, en se servant selon lui des modèles dont s'était emparé Szumeraj.
En 2011, au moment du dépôt de plainte, "il était toujours possible de commander une bague de la collection Antoinette dans la boutique Van Cleef & Arpels" de la rue de la Paix, selon le plaignant.