La fermeture prolongée des banques à Chypre, après l'annonce surprise d'une taxe inédite sur les dépôts bancaires dans le cadre d'un plan de sauvetage de l'île, porte un nouveau coup aux entreprises déjà fragilisées par la récession dans laquelle le pays est plongé.
"On ne peut pas acheter, on ne peut pas vendre", résume Costakis Sophoclides, directeur d'une société de produits surgelés, qui paie d'habitude ses fournisseurs étrangers en se rendant à la banque pour faire des virements.
"Beaucoup de mes clients sont des restaurants et des hôtels, et nous ne pouvons plus les fournir (...). J'ai 25 employés qui travaillent actuellement mais la semaine prochaine, si je n'ai plus de stocks, qu'est-ce qu'ils vont faire?", s'inquiète-t-il.
"Nous ne savons pas quand nous allons êtres payés et surtout si nous allons être payés", lance encore ce chef d'entreprise dont les produits sont importés d'Europe, en particulier d'Allemagne et des Pays-Bas.
Samedi à l'aube, après des heures de négociations, la zone euro et le FMI sont parvenus à un accord sur un plan de sauvetage d'un maximum de 10 milliards d'euros pour Chypre, à condition que l'Etat obtienne 5,8 milliards d'euros grâce à une taxe exceptionnelle sur tous les dépôts bancaires.
Les banques étant fermées le samedi, les Chypriotes, paniqués, se sont se rués sur les distributeurs automatiques, dont beaucoup ont été rapidement vidés même si la plupart ont été réapprovisionnés depuis.
Mais le Parlement chypriote a tardé à se prononcer sur le plan, avant de le rejeter mardi soir. Par crainte d'une ruée aux guichets et de retraits massifs, les banques ne rouvriront pas avant la semaine prochaine, et tous les virements bancaires via internet sont totalement bloqués, sur l'île et avec l'étranger.
Que du liquide aux stations-services
"Je n'ai plus la main sur mes comptes", se lamente Gatienne Thibaut, gérante d'un restaurant français. "Je vais perdre la confiance de mes fournisseurs en France. Ils vont se dire: +Même si elle veut me payer, elle ne peut pas+".
"On est pris en otage alors qu'on n'y est pour rien", ajoute-t-elle, furieuse.
Alexandros Mitides dirige une entreprise familiale qui vend du marbre, déjà fortement touchée par la crise "depuis deux, trois ans": "J'avais 15 employés il y a quelques années, aujourd'hui, je n'en ai plus que deux, et ils ne travaillent qu'à mi-temps".
"Personne ne paie actuellement, on essaie juste de survivre", ajoute-t-il.
"Plus la fermeture des banques se prolonge, plus l'incertitude s'accroît (...). Si le plan n'est pas approuvé, sans aucune autre solution, la panique sera encore plus forte", a aussi prévenu Constantinos Lyras, un responsable du réseau des banques coopératives, à l'agence chypriote CNA.
Pour les particuliers, il est toujours possible de payer par carte bleue dans de nombreux magasins, en particulier les grandes surfaces, mais nombre de commerçants refusent désormais les chèques, et certains commencent à demander à être payés en liquide.
C'est le cas d'un café du centre-ville de Nicosie, déjà sinistré par la crise qui a vu se multiplier les panneaux "A louer" sur les devantures de magasins vides, ou d'un autre de la rue Ledra, artère touristique piétonnière de la vieille ville.
Le président de l'association des propriétaires de stations services, Stefanos Stefanou, a également assuré à la chaîne de télévision privée Sigma que les stations-services n'acceptaient désormais que de l'argent liquide.
Ile touristique à l'économie très florissante depuis 1990, Chypre a vu son économie se contracter de 2,3% en 2012, et la reprise n'est pas attendue avant 2015, tandis que le chômage (15%) a plus que doublé ces 18 derniers mois.