Le ministre chypriote des Finances a entamé mercredi à Moscou de difficiles négociations avec la Russie, déterminée à obtenir le maximum en échange de son soutien financier, et qui a par ailleurs mis ses relations avec l'UE dans la balance.
Mercredi soir, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev a estimé que "toutes les erreurs possibles" avaient été commises dans l'approche de la crise financière à Chypre.
Alors que Moscou accueille jeudi le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, M. Medvedev a averti l'UE et le gouvernement chypriote que leurs décisions pouvaient nuire aux relations Russie-UE.
"J'espère qu'en fin de compte la solution adoptée sera la plus réfléchie possible, et permettra à la fois d'aider Chypre, et de ne pas détériorer nos relations avec l'UE", a-t-il ajouté.
Arrivé mardi soir à Moscou, le ministre, Michalis Sarris, a rencontré mercredi son homologue russe Anton Silouanov puis le Premier vice-Premier ministre Igor Chouvalov, sans qu'une annonce ne soit faite sur un accord.
La délégation chypriote a annulé une conférence de presse prévue initialement en début d'après-midi.
Nicosie demande une extension du crédit de 2,5 milliards d'euros accordé par la Russie en 2011, que Chypre doit finir de rembourser en 2016.
"Les Russes sont des négociateurs coriaces (...) mais ce n'est pas dans leur intérêt que Chypre fasse défaut" au risque de perdre leurs dépôts si les banques s'effondrent, relève Ivan Tchakarov, économiste chez Renaissance Capital.
"Le problème, c'est ce qu'elle peut obtenir en échange", ajoute-t-il.
Le ministère chypriote des Finances s'est dit prêt à accorder à Moscou de "nouveaux investissements".
Des informations de presse non confirmées ont évoqué un possible intérêt des sociétés russes pour un soutien financier en échange de participations dans des banques ou dans des projets d'extraction d'hydrocarbures au large des côtes méridionales de l'île.
Selon les agences de presse russes, les négociations devaient se poursuivre jeudi, coïncidant avec la visite programmée du président de M. Barroso, qui s'entretiendra notamment avec le président russe Vladimir Poutine.
Le gouvernement russe a répété à plusieurs reprises ces derniers mois qu'il était prêt à un assouplissement des conditions du prêt accordé à Chypre.
Mais après l'annonce du plan de sauvetage européen, Anton Silouanov, critiquant un projet mis sur pied sans concertation, a menacé de revenir sur cette proposition.
Moscou a été piqué au vif par l'idée de la taxe sur les dépôts bancaires, de 9,9% pour les comptes dépassant 100.000 euros, qui met à contribution les fortunes russes placées sur l'île au régime fiscal très favorable.
Vladimir Poutine, qui s'est entretenu mardi soir avec le chef de l'Etat chypriote Nicos Anastasiades, lui a rappelé sa "préoccupation" concernant toute mesure pouvant constituer "un préjudice pour les intérêts russes" sur l'île.
Mercredi soir, le Premier ministre Dmitri Medvedev a aussi reproché à l'UE d'avoir tenu la Russie à l'écart des négociations avec Chypre.
"De telles négociations et de telles décisions doivent être discutées avec les différentes parties concernées", a souligné M. Medvedev.
"Nous avons là nos raisons et nos intérêts d'Etat: nos banques y détiennent leurs actifs, ainsi que de nombreux hommes d'affaires russes", a-t-il ajouté.
"Tous ne cherchent pas à se cacher derrière la juridiction spéciale de Chypre", a-t-il déclaré.
Le montant des avoirs russes à Chypre varie fortement selon les estimations mais l'agence Moody's les évalue à 31 milliards de dollars. Cela représente plus du tiers de tous les dépôts bancaires sur l'île, qui conteste son image de lessiveuse d'argent sale.
En tout, les économistes de la banque Sberbank estiment que les pertes subies par les Russes représentent environ 40% des 5,8 milliards d'euros que devait rapporter la taxe bancaire, en plus d'une aide internationale de 10 milliards d'euros.
Pour Alexeï Moukhine, directeur du Centre d'information politique, Nicosie, après avoir fait preuve de "manque de loyauté" vis-à-vis de la Russie, va lui proposer "de renforcer sa présence dans les secteurs bancaires et énergétiques".
Mais "même si la Russie aide Chypre, les capitaux russes en partiront quand même", prévient l'analyste.