Le Parlement chypriote a rejeté mardi le plan de sauvetage européen pour l'île après le tollé provoqué par la taxe sans précédent sur les dépôts bancaires qui y est prévue, mais les dirigeants de la zone euro ont immédiatement réitéré leur offre, estimant que la balle était "toujours dans le camp" de Chypre.
Le président chypriote, Nicos Anastasiades, qui a dit respecter ce vote, a appelé les responsables de partis à une réunion d'urgence mercredi matin pour "examiner des plans alternatifs afin de faire face à la situation survenue après le vote" du parlement contre le texte du plan.
M. Anastasiades a ajouté avoir eu mardi soir un entretien téléphonique "constructif" avec le président russe Vladimir Poutine, à la veille de discussions de son ministre des Finances Michalis Sarris à Moscou, la taxe prévue pouvant coûter des milliards d'euros aux fortunes russes placées dans les banques de l'île.
La Banque centrale européenne (BCE), qui participait aux négociations de Chypre avec l'Union européenne et le Fonds monétaire international (FMI), a indiqué avoir pris acte du rejet et affirmé qu'elle fournirait autant de liquidités que nécessaire, semblant indiquer que la porte n'était pas encore fermée à une renégociation du plan d'aide.
Dans la soirée, l'Eurogroupe a "réitéré son offre" à Nicosie. "Je confirme que l'Eurogroupe est prêt à aider Chypre dans ses efforts de réforme et réitère la proposition" de lundi, qui consiste à ne plus taxer les dépôts inférieurs à 100.000 euros, a déclaré dans un communiqué le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem.
"Nous avons laissé une certaine liberté à Chypre", a-t-il ensuite déclaré à la chaîne néerlandaise NOS, jugeant que le plan d'aide ne pouvait dépasser 10 milliards d'euros pour ne pas rendre la dette du pays ingérable.
Au-delà de 10 milliards, "ils ne peuvent plus rembourser la dette et il n'y a plus de solution", a-t-il estimé.
Auparavant, un responsable européen proche de l'Eurogroupe a dit que la zone euro attendait désormais une "contre-proposition" de Chypre.
Le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a lui aussi pris acte "avec regret" du rejet chypriote. Il a averti que Chypre étant "seule responsable" de ses problèmes dus à son système bancaire "complètement surdimensionné", il n'y avait "pas d'autre solution que de restructurer" ce système.
A Nicosie, le président du Parlement Yiannakis Omirou avait annoncé que 36 députés avaient voté contre le texte mardi, 19 s'étaient abstenus, tous du parti Disy du président de droite Anastasiades. Le plan n'a obtenu aucun vote positif.
"La réponse ne peut être que Non au chantage. Cette décision n'est rien qu'une razzia sur les fonds bancaires", a-t-il dit.
L'annonce du rejet a été accueillie par une énorme explosion de joie devant le Parlement où des milliers de manifestants s'étaient réunis pour dire Non au texte. "Chypre appartient à son peuple", a scandé la foule.
"Parce que nous sommes petits, ils ont cru qu'ils pouvaient faire ça avec nous. Mais Chypre ne veut pas être un cobaye pour l'Europe", a dit Stefanos Angelidis, un chômeur de 28 ans.
Rencontre avec les partis
Le plan de sauvetage prévoyait, en contrepartie d'un prêt de 10 milliards d'euros de la zone euro et du FMI pour l'île au bord de la faillite, une taxe exceptionnelle de 6,75% sur tous les dépôts bancaires de 20 à 100.000 euros et de 9,9% au-dessus.
Ce projet, conclu à Bruxelles samedi, comprenait à l'origine une ponction de 6,75% pour les dépôts jusqu'à 100.000 mais devant le tollé général provoqué par ces taxes, Chypre a finalement décidé d'exonérer les dépôts de moins de 20.000 euros. Cette mesure inédite de prélèvement devait rapporter 5,8 milliards d'euros.
Elu il y a à peine un mois, M. Anastasiades devait se réunir avec les chefs de partis mercredi à 07H00 GMT.
Les banques, fermées depuis samedi, le resteront jusqu'à jeudi. La Bourse a annoncé la suspension de ses échanges mardi et mercredi.
Le plan a aussi secoué les places financières mondiales. La Bourse de Paris a reculé de 1,30% mardi, déstabilisée par la crise chypriote qui a ravivé les tensions dans la zone euro et conduit nombre d'investisseurs à vendre leurs positions, notamment les valeurs bancaires en chute de 4 à 6%.
Chypre a besoin de 17 milliards d'euros pour faire face à sa dette et a demandé une aide européenne en juin. C'est le cinquième pays de la zone euro à bénéficier d'un programme d'aide internationale, avec un montant très inférieur aux centaines de milliards déboursés pour la Grèce et aux dizaines de milliards versés au Portugal, à l'Irlande et pour renflouer le secteur bancaire espagnol.
La Russie incontournable
L'annonce du plan de sauvetage a provoqué une onde de choc à l'étranger, surtout en Russie. La taxe de 9,9% sur les dépôts de plus de 100.000 euros risquait en effet de coûter des milliards d'euros aux fortunes russes placées dans l'île.
Le ministre russe des Finances Anton Silouanov a regretté une décision prise sans concertation par l'UE et menacé de revenir sur sa proposition d'assouplir les conditions du crédit de 2,5 milliards d'euros accordé à Nicosie en 2011. M. Sarris doit négocier l'étalement du remboursement de ce crédit.
Selon le quotidien Vedomosti, la banque russe Gazprombank, détenue à 41% par le géant public gazier Gazprom, a proposé à Chypre une aide financière en échange de licences de production de gaz naturel après la découverte de colossales ressources en hydrocarbures sous la mer au large des côtes méridionales de l'île.
Pour le député Diko Marios Garoyian, le texte est un "crime avec préméditation" et une "forme d'esclavage économique" pour forcer Chypre à rompre ses liens avec Moscou et Pékin et permettre à d'autres de mettre la main sur les réserves énergiques.
En raison d'une fiscalité avantageuse, Chypre a été pendant longtemps considérée comme un paradis fiscal, mais les autorités se défendent de l'image de lessiveuse d'argent sale, qui continue de coller à l'île.