La France a eu gain de cause vendredi dans sa lutte pour protéger l'exception culturelle après l'accord intervenu entre Européens pour exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociations commerciales avec les Etats-Unis, comme Paris le réclamait avec vigueur.
"Nous avons obtenu l'exclusion de tout ce qui concerne l'audiovisuel" dans le mandat, s'est réjouie la ministre française du Commerce, Nicole Bricq, vendredi soir lors d'une conférence de presse à l'issue de 13 heures de discussions, saluant "un bon accord" aussi bien pour la France que pour ses partenaires européens.
C'est une "victoire de la France", a renchéri, enthousiaste, la ministre de la Culture, Aurélie Filipetti, sur son compte Twitter.
"C'est un succès pour la diversité culturelle partout en Europe. C'est un mandat sans équivoque qui, après une journée d'intenses discussions, a été adopté ce soir", a ajouté la ministre dans un communiqué publié dans la soirée.
"Comme l'ont fermement demandé le président de la république François Hollande et le gouvernement français, les services audiovisuels seront complètement exclus des négociations commerciales avec les États Unis. L'Europe a ainsi fait le choix de respecter une position constante : celle qui garantit le principe de l'exception culturelle. Toute évolution du mandat de négociation exigera un accord unanime de l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Aucune concession ne sera faite", a également affirmé Mme Filipetti dans le communiqué.
Réunis à Luxembourg, les ministres du Commerce des 27 devaient se mettre d'accord sur le mandat confié à la Commission européenne pour négocier le plus gigantesque accord commercial du monde entre l'UE et les Etats-Unis.
Très attachée au principe d'exception culturelle, la France avait brandi la menace d'un véto si l'audiovisuel était inclus dans le mandat de négociations.
Elle craignait en effet que les Etats-Unis, en demandant leur gel, cherchent à rendre caducs les quotas de diffusion sur les chaînes de télévision, les subventions ou les réglementations discriminatoires selon la nationalité des société ou des capitaux.
Paris redoutait également que les Etats-Unis veuillent obtenir des règles spécifiques pour les "nouveaux services audiovisuels" (vidéo à la demande, télévision de rattrapage).
Les 27 ont accédé aux demandes de la France, mais le compromis final prévoit que l'audiovisuel pourra être ajouté "plus tard" dans le mandat de négociations, a indiqué le commissaire européen en charge du Commerce, Karel De Gucht, qui militait pour n'écarter aucun domaine des discussions avec les Etats-Unis de peur qu'ils fassent de même.
La Commission se réserve donc la possibilité de réviser les termes du mandat, et donc d'inclure le secteur audiovisuel. Dans cette hypothèse, l'unanimité serait requise. Mais "il faudrait alors la même procédure: on redemanderait l'avis de la France et on dirait une nouvelle fois non", a souligné Mme Bricq.
La position française était soutenue par le Parlement européen, les ministres de la Culture d'une quinzaine de pays, et nombre d'artistes prestigieux --de Costa-Gavras à Steven Spielberg. Mais très peu de capitales avaient clairement manifesté leur soutien à Paris.
La Pologne, l'Italie, la Belgique, la Roumanie, l'Autriche partagent les préoccupations de la France, "mais tous ces pays ne sont pas prêts à afficher la même détermination", avait reconnu Mme Bricq.
De son côté, Washington avait exprimé son irritation face aux réticences européennes. Un responsable du commerce extérieur a jugé jeudi, sous couvert d'anonymat, qu'il n'était pas "bienvenu" d'exclure l'audiovisuel "avant même que les discussions aient commencé".
Le sujet est d'autant plus sensible que l'accord de libre-échange entre l'UE et les Etats-Unis doit doper les deux économies et devrait rapporter environ 119 milliards d'euros par an au Vieux continent et 95 milliards par an pour les Etats-Unis, selon des estimations.
Afin d'infléchir la position de la France, plusieurs propositions avaient été faites, sans succès: la Commission s'était dite prête à accorder aux Etats membres un droit de regard spécifique lorsque les négociations avec les Etats-Unis aborderaient le secteur audiovisuel.
La présidence irlandaise de l'UE avait elle proposé, sans exclure la culture, de fixer des lignes rouges à ne pas franchir en ce qui concerne le secteur audiovisuel: protection des subventions et des quotas, et possibilité de les adapter aux nouveaux modes de diffusion numériques.
Un échec des discussions vendredi aurait jeté une ombre sur la réunion du G8 qui se tient la semaine prochaine en Ulster. Les négociations pour établir l'accord de libre échange entre l'UE et les Etats-Unis devraient y être officiellement lancées.