Avec une croissance vigoureuse et un chômage en baisse, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est quasiment assuré de remporter les législatives du 12 juin, même si ses excès de confiance après neuf ans au pouvoir commencent à irriter les milieux d'affaires.
Dans les salles de marchés, il y a longtemps que personne n'envisage une défaite du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation issue de la mouvance islamiste dirigée par M. Erdogan, qui brigue son troisième mandat.
"Si les marchés s'interrogent, c'est sur la marge avec laquelle l'AKP va remporter ces élections", affirme Inan Demir, économiste en chef chez Finansbank.
L'enjeu, pour les investisseurs, est de savoir si l'AKP --pronostiqué à plus de 45% des voix-- dépassera le seuil de 367 députés sur 550, crucial pour voter des réformes constitutionnelles sans devoir recourir au référendum, ou bien s'il obtiendra moins de 330 élus, le contraignant à chercher des alliances pour réviser les texte fondamentaux.
"Ce sont les seuls développements envisagés par les marchés comme pouvant influencer les cours", commente M. Demir.
Pour les analystes, les performances économiques de la Turquie --croissance de 8,9% en 2010, chômage en baisse à 11,5% au premier trimestre 2011-- garantissent un succès de l'AKP.
"Si une part importante des classes moyennes continue de soutenir l'AKP, ce n'est pas parce qu'il représente les valeurs conservatrices musulmanes, c'est surtout parce qu'il incarne pour elles une continuité" avec les performances des dernières années, estime l'économiste Ahmet Insel, de l'université stambouliote de Galatasaray.
"Depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir, le taux de croissance annuel moyen, crise mondiale inclue, est de 4,5% par an", souligne M. Insel. "Et le nombre de personnes pauvres (...) a considérablement chuté depuis une dizaine d'années."
Dès lors, l'AKP a beau jeu de comparer son bilan à celui des décennies précedentes, rythmées par des crises politiques et économiques à répétition, pour se proclamer champion de "la stabilité", un des leitmotives de sa campagne.
Et d'afficher des objectifs mirobolants pour... 2023 ! A cette date, qui correspond au centenaire de la république turque, la Turquie, actuellement 17e économie mondiale avec un produit national brut (PNB) par habitant de 10.079 dollars pour 2010, rejoindra le "top ten" mondial avec 25.000 dollars par individu, promet le programme de l'AKP.
Au plus fort de la crise mondiale, qui a quand même causé une contraction de 4,8% de l'économie turque en 2009 et une envolée du chômage, l'AKP a perdu du terrain lors d'élections municipales, son score tombant de 47% des scrutins aux législatives à 39%.
"Mais ces huit points ont été largement récupérés. Ce n'est pas étonnant lorsqu'on envisage la très forte croissance de 2010, la baisse du chômage et de l'endettement, l'augmentation énorme de la bourse dans les 14 derniers mois", commente l'économiste Seyfettin Gürsel, de l'université de Bahçesehir.
Grisé par cette victoire annoncée, l'AKP s'est cependant alliéné une partie des milieux d'affaires, jusque là favorables au nom de la stabilité, en adoptant des mesures jugées rétrogrades, comme le renforcement de la censure d'Internet, à l'origine d'échanges acerbes entre organisations patronales et gouvernement.
"Auparavant, un des principaux attraits de l'AKP était d'être le leader du changement. Mais maintenant, nous voyons qu'il devient de plus en plus conservateur, avec ses lois et ses règlements", déclare Ferda Kertmelioglu, vice-président de l'association des jeunes entrepreneurs TÜGIAD.
"Il y a des enjeux pour lesquels on peut sacrifier même la stabilité", prévient l'entrepreneur.