L'idée, prônée par Arnaud Montebourg, est séduisante : faciliter les reconversions de salariés de l'automobile, en difficulté, vers l'aéronautique, "antidépresseur" de l'économie française. Mais les freins s'annoncent puissants, notamment pour les ouvriers, géographiquement moins mobiles.
"Nous travaillons, mais c'est dizaine d'emplois par dizaine d'emploi. Vous savez que nous avons un problème en France qui est la mobilité géographique, il y a un attachement en France (...) à son clocher", a expliqué mercredi le ministre du Redressement productif.
Fin janvier, il annonçait vouloir mettre rapidement en place des formations-passerelles. "Nous allons faire un travail de dentellière pour faire passer les emplois perdus dans l'automobile vers les emplois de qualité, bien payés, non pourvus dans l'aéronautique", assurait-il.
A l'horizon 2020, 3.800 à 6.300 postes devraient disparaître dans l'automobile, selon le cabinet économique BIPE.
Alors qu'Airbus a décroché lundi le plus gros contrat de l'histoire aéronautique, on explique au ministère du Redressement productif travailler à un "état des lieux" géographique et sectoriel des bassins d'emploi, "qui devrait être terminé d'ici six semaines". "Pour l'instant, à part Safran qui va reprendre des salariés de PSA, nous n'en sommes pas à la concrétisation", admet-on.
L'équipementier aéronautique a le projet d'embaucher 400 salariés du constructeur automobile, où plus de 11.000 suppressions de postes sont envisagées d'ici 2014. "Cela concerne essentiellement des effectifs de structure, ingénieurs et cadres", explique-t-on chez PSA où, malgré "des contacts réguliers avec des entreprises de l'aéronautique", aucun autre passerelle n'est à l'étude.
Evaluant entre 3.000 et 6.000 le nombre des postes non pourvus dans l'aéronautique en 2011, le cabinet d'intérim Randstad a lancé en avril 2012 un appel aux salariés désireux de changer de secteur. En amont, une dizaine de qualifications (électricien, carrossier, tourneur, fraiseur...) avaient été identifiées.
Près d'un an plus tard, sur les 500 personnes contactées, seules 20 ont franchi le pas, "essentiellement des jeunes célibataires ou en couple, qui ont fait le deuil de l'automobile, car beaucoup espèrent encore un rebond", relate Laurent Duverger, responsable du centre expert aéronautique chez Randstad. "On n'a pas réussi à passer du stade artisanal au stade industriel", déplore-t-il.
"exigences élevées"
Pour lui, "la première raison est géographique". "On trouve de l'automobile notamment dans le Nord-Est, alors que l'aéronautique se concentre sur le Sud-Ouest, où les loyers sont plus chers", explique-t-il.
M. Duverger relève aussi des différences "entre deux mondes : si vous faites tomber une pièce dans l'automobile, ça se répare. Dans l'aéronautique, ce n'est pas forcément le cas, et cela peut coûter plusieurs dizaines de milliers d'euros".
Pour Gabriel Artero, président de la Fédération CFE-CGC de la métallurgie, "l'idée de ces passerelles, évoquée dès l'été 2012 par le gouvernement, est intéressante mais pas organisée. Il faut passer au traitement de masse". "Jusqu'à présent, je n'ai eu vent d'aucun CCE ou CE où la question ait été mise à l'ordre du jour", regrette-t-il, jugeant que "ce ne sont pas les budgets formation qui manquent".
"Concrètement, les reconversions marchent surtout pour l'ingénierie et la +supply chain+, les cadres, qui sont très mobiles. Pour les ouvriers, cela suppose de la formation: plus on se rapproche du produit final, plus c'est compliqué", poursuit M. Artero. Or ces derniers sont les premières victimes des plans sociaux: sur les 2.993 postes supprimés sur le site de PSA d'Aulnay-sous-Bois, 2.292 sont occupés par des ouvriers, selon un document de la direction daté de mai 2012.
"Les profils les plus recherchés sont ceux de la recherche et développement, pas ceux de la fabrication", abonde Michel Ducret de la fédération CGT métallurgie, qui observe également qu'il "n'y a pas de concertation" entre les fédérations.
Chez Airbus, on évoque "des rencontres individuelles entre des salariés de PSA et des recruteurs, essentiellement sur des postes d'ingénieur" et on dit "rechercher la compétence", quelle que soit l'origine des candidats.
Un rapport relayé à l'été 2012 par l'Observatoire de la métallurgie faisait état de problèmes de recrutement dans l'aéronautique qui "pourraient entraîner une menace de contournement au profit d'entreprises étrangères". Il notait également que le secteur était "caractérisé par des exigences de recrutement élevées, parfois à la limite de la faisabilité".