Si l'écotaxe suscite la colère en Bretagne, sa suspension irrite en Alsace: les élus de la région, de droite comme de gauche, réclament cette taxe depuis plusieurs années pour soulager les routes des camions qui cherchent à éviter l'Allemagne.
En 2005, c'est Yves Bur, alors député UMP alsacien, qui a fait passer pour la première fois au Parlement le principe d'une taxe poids lourds, sous la forme d'une expérimentation en Alsace. Le voisin allemand venait tout juste de mettre en place une contribution comparable.
"Assez rapidement, près de 3.000 camions supplémentaires par jour ont déboulé sur l'axe nord-sud alsacien pour échapper au paiement de la taxe en Allemagne", explique M. Bur, soulignant "le consensus politique" qui avait entouré son initiative.
Si sa proposition n'a finalement jamais été appliquée, l'idée d'une contribution des poids lourds a fait son chemin, avec l'objectif de rééquilibrer la concurrence entre la route et le rail sur tout le territoire: elle a été intégrée dans une loi en 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis reprise à son compte par la gauche au pouvoir.
"Une montée d'adrénaline politique"
C'est Roland Ries, le sénateur-maire PS de Strasbourg, convaincu de la pertinence de l'écotaxe, qui a été rapporteur du texte au Sénat. Quelques mois plus tard, il s'étonne "de la montée d'adrénaline politique" qui a mené à la suspension du dispositif après les événements bretons.
"Je peux comprendre que le gouvernement ait souhaité faire un round supplémentaire de négociation, mais si cette négociation aboutit à la suppression de la taxe poids lourds, je ne peux pas être d'accord", prévient-il.
"Ces sujets méritaient d'être portés jusqu'au bout. Ce n'est pas une question d'être de droite ou de gauche mais d'oeuvrer pour l'intérêt général des citoyens", souligne le président du Conseil régional d'Alsace, Philippe Richert (UMP).
Le président du conseil général du Haut-Rhin, Charles Buttner (UMP), dénonce de son côté "un nouveau coup tordu du gouvernement" et demande désormais le "droit à l'expérimentation d'un dispositif compensatoire" dans la région.
A droite, le consensus politique initial dans la région autour de l'écotaxe s'est effrité ces derniers temps, "ras-le bol fiscal" oblige. Des élus UMP, comme les députés Jean-Luc Reitzer et Sophie Rohfritsch, ont pris leurs distances, jugeant que la situation avait changé.
"Les parlementaires de l'ancienne majorité pourraient au moins assumer la paternité de cette taxe et son utilité pour financer les infrastructures", tacle Yves Bur, pour qui l'afflux de camions en Alsace "crée toujours une insécurité sur des routes pas forcément adaptées".
"Victime du ras-le-bol fiscal et des routiers"
Pour M. Bur, actuel maire de Lingolsheim (Bas-Rhin), l'écotaxe est "la victime du ras-le bol fiscal et aussi d'un lobby actif des routiers".
Ces derniers, qui avaient déjà bataillé pour que l'Alsace ne soit pas un terrain d'expérimentation pour l'écotaxe, n'ont pas changé de position. "Nous étions et nous restons contre", dit Martine Bensa, déléguée régionale de la Fédération nationale des transporteurs routiers (FNTR), selon laquelle les reports de trafic en Alsace "ont diminué depuis 2005".
"On est submergés d'appels de nos adhérents qui sont inquiets de voir ce qu'obtiennent les Bretons", ajoute-t-elle. "On essaie de les calmer, pour qu'ils n'aillent pas eux aussi démonter des portiques, mais le fait que certains reparlent ici d'une expérimentation alsacienne ne nous aide pas".
Les agriculteurs alsaciens sont, eux aussi, mobilisés. La FRSEA et les Jeunes Agriculteurs ont lancé il y a quelques jours une campagne d'affichage contre l'écotaxe, qui "tue les produits agricoles d'Alsace", et multiplient les rencontres avec des élus.
"S'ils veulent éviter les reports de trafic, ils n'ont qu'à taxer plus les produits d'importation", lance Denis Ramspacher, président de la FDSEA du Bas-Rhin, pour qui le dispositif actuel "pénalise surtout les produits de proximité". Les agriculteurs fustigent aussi le niveau de l'écotaxe, "plus élevé en Alsace que dans d'autres régions françaises".
"Les expériences comparables menées notamment en Allemagne et dans une dizaine de pays européens montrent que cela n'a affecté ni la croissance ni le développement économique de ces pays", soutient pour sa part Roland Ries.