L'économie irakienne est en plein boom, les coffres du Trésor se remplissent à vue d'oeil grâce au pétrole, mais comme tant de ses compatriotes Sabah Nouri ne voit toujours pas le bout du tunnel, et se sent condamné à vivre dans la précarité.
Sabah Nouri peut se considérer privilégié. Il a un emploi, ingrat, certes, mais un emploi tout de même. Il a aussi un toit au-dessus de la tête. Pourtant, entre le loyer, la nourriture et l'argent à débourser pour payer son raccordement au générateur électrique qui lui permet de tromper les fréquentes pannes de courant, c'est tout juste s'il arrive à joindre les deux bouts.
"Tout est cher, j'ai tout le temps des factures à régler", explique-t-il à l'AFP.
Sabah Nouri, 45 ans, pousse un chariot brinquebalant dans les ruelles de Bab al-Charji, l'un des plus vieux quartiers de Bagdad, où il propose aux commerçants de transporter leurs articles les plus encombrants.
"A l'étranger, les services publics fonctionnent. Et quand on a un travail, tout va bien", se lamente-t-il.
"Où est le pétrole? On entend seulement parler de chiffres, mais, nous, on n'en retire aucun bénéfice", s'insurge-t-il.
L'exploitation du pétrole, première richesse de l'Irak, est à peu près la seule réussite du pays, qui, dix ans après son invasion, est toujours endeuillé par les violences et rongé par la corruption.
A l'heure actuelle, l'Irak produit 3,15 millions de barils par jour (mbj) et exporte 2,5 mbj, selon Assem Jihad, porte-parole du ministère du Pétrole. Ses sous-sols renferment des réserves prouvées de quelque 143,1 milliards de barils de brut, parmi les plus élevées au monde.
A en croire l'Agence internationale de l'énergie (AIE), Bagdad devrait pouvoir exporter pour environ 5.000 milliards de dollars d'ici 2035.
Mais au sein de la population, les revenus du pétrole ne profitent pas à tout le monde. Environ un quart des Irakiens vivrait en-dessous du seuil de pauvreté et un Irakien sur trois est au chômage ou en situation de sous-emploi, selon des chiffres officieux.
Surtout, la frustration des Irakiens est due au fait que le pétrole, s'il se taille la part du lion en termes de revenus, n'emploie qu'un pour cent de la population active, selon les Nations unies.
Les Irakiens doivent donc se tourner vers la gargantuesque fonction publique, où le népotisme règne en maître, ou aller dans le secteur privé, qui reste embryonnaire.
"Gagner ma vie honorablement"
"C'est dur", reconnaît Abboud Hassan, 48 ans. Anciennement ingénieur dans l'armée de l'Air, il vend désormais des télécommandes dans la rue.
"Je voudrais seulement gagner ma vie de façon honorable", implore-t-il.
Abboud Hassan gagne environ 820.000 dinars par mois (680 dollars) en combinant sa retraite et les ventes de télécommandes. C'est trop peu pour nourrir sa femme et ses cinq enfants.
Et la situation ne va pas en s'arrangeant. L'ONU, dans un rapport publié le mois dernier, avertissait que "la part des revenus provenant du pétrole bride tout effort visant à diversifier l'économie irakienne".
Pour l'heure, le gouvernement irakien mise sur de grands chantiers riches en symbolique: un complexe résidentiel à Bagdad, un stade de football à Bassora ou un aéroport près de la ville sainte chiite de Najaf.
Mais, même si une bonne partie des Irakiens luttent au quotidien, Bagdad se découvre peu à peu une passion pour la société de consommation. Des restaurants, des vendeurs de grosses cylindrées et même des centres commerciaux ont récemment fait leur apparition.
Azad Haddad, un Irakien qui a grandi à l'étranger après l'invasion, fait partie de ceux à qui les affaires sourient.
Le jeune homme a ouvert deux restaurants dans le quartier chic de Jadriya, à la grande joie d'une clientèle nombreuse.
"Il faut être déterminé" pour faire des affaires en Irak, admet-il. "C'est un défi, mais c'est justement ça le plus intéressant".